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Libération
Interview

«Parfois, des suicides veulent marquer l’histoire»

Pour «Libération», Daniel Zagury, psychiatre des hôpitaux et expert auprès des tribunaux, revient sur le comportement du copilote de l’A320 de Germanwings.
Dans la vallée de la Blanche (Alpes-de-Haute-Provence), au-dessus du site du crash, mardi. (Photo Anne-Christine Poujoulat. AFP)
publié le 26 mars 2015 à 17h38

Suicide ou meurtres en série ? Seule certitude : selon le parquet, «il y a eu volonté de détruire l'A320 de Germanwings» dont le crash a fait 150 morts mardi. Alors que le commandant de bord était sorti momentanément du cockpit, le copilote de l'appareil a refusé de lui ouvrir la porte à son retour. Il a par ailleurs actionné les commandes activant la descente de l'appareil qui s'est écrasé à flanc de montagne dans les Alpes. Pour autant, à ce stade, «rien ne permet de dire qu'il s'agit d'un attentat terroriste», assure le procureur de la République de Marseille, Brice Robin.

Le psychiatre Daniel Zagury revient pour Libération sur les agissements d'Andreas Lubitz.

Peut-on parler d’acte délibéré ? Volontaire ? Prémédité ?

Il est impossible d’y répondre avec aussi peu d’éléments disponibles. On peut rappeler plusieurs constats. Quand on se suicide, c’est, dans l’immense majorité des cas, en solitaire. On peut certes se suicider et tuer par amour, c’est ce que l’on appelle le suicide altruiste. Par exemple, le sujet va tuer ses enfants puis se donner la mort, mais il le fait pour éviter des souffrances à ses proches. Ce qui est plus fréquent, c’est que l’on tue l’autre pour ne pas se séparer, pour rester en quelque sorte dans une non-séparation pour l’éternité.

Et encore ?

On peut aussi tuer les autres, comme des criminels en série, dans un mélange de désespoir et de haine. On évoque, parfois, des suicides dans une sorte d’apothéose, pour marquer l’histoire: la personne va tuer massivement. Ce n’est pas de la haine contre un sujet, mais une haine indifférenciée. C’est cela l’indifférence absolue au sort d’autrui. Dans le cas présent, on n’en sait rien. Mais on peut en faire l’hypothèse.

Y a-t-il des éléments déclencheurs ? Ou, pour dire les choses plus simplement, est-ce que ce type de comportement peut se prévoir ?

Un rappel, tout d’abord : quand on parle de dépression, par exemple de dépression mélancolique, cela se voit. La personne est ralentie, triste; elle parle peu, tout le monde le constate. On n’est probablement pas dans ce cas-là. Mais il y a des processus psychiques beaucoup plus masqués, où l’extérieur ne note rien, où même le sujet continue de donner le change, d’avoir une vie normale. Peut-être que la mise en actes est liée à des facteurs conjoncturels que l’on découvrira plus tard. Mais, même dans ce cas, dans le fond, il y a quelque chose. Et ce quelque chose est probablement très secret, clivé, masqué aux autres. On le saura peut-être quand on aura plus d’éléments sur cette personne, sur sa vie. Est-ce un solitaire ? Un taiseux ? Mais ce qui reste important, c’est que le processus sous-jacent n’était pas récent, et sûrement était-il invisible aux yeux des autres. Peut-être le copilote était-il déjà mort dans sa tête ?

Et quid de l’aspect déterminé ? Voilà un acte qui dure de longues minutes…

C’est sidérant, mais cette sémiologie des conduites repose sur trop peu d’éléments. Apparemment, il n’a pas varié d’un iota. On peut imaginer que le sujet était alors entièrement polarisé par une idée centrale, et plus rien n’avait d’importance. On imagine une détermination absolue, et cela ne renvoie pas un acte impulsif du moment : l’ensemble de ses forces psychiques a été mobilisé sur cette action.