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Libération
Interview

Droit de grève : l'OIT épingle à nouveau les mauvais élèves

Bernard Thibault, ex-patron de la CGT et administrateur de l'Organisation internationale du travail, revient sur le dernier rapport de l'agence onusienne sur les libertés syndicales. Ce dernier intègre à nouveau le droit de grève.
Bernard Thibault, le 18 février 2015 à Paris. (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
publié le 28 mars 2015 à 10h33

Terminée l’immunité des Etats qui ne respectent pas le droit de grève? Depuis trois ans, le comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail (OIT) ne pouvait plus se saisir de cette question. La faute à un différend entre syndicats de salariés et représentants des employeurs sur la portée de la Convention 87 relative à la liberté syndicale.

Pour les syndicats, cette dernière englobe le droit de grève, et ce depuis son entrée en vigueur en 1948. Mais pour l’Organisation internationale des employeurs (OIE), elle ne mentionne nullement ce droit, qui n’est donc, selon eux, pas du ressort des experts de l’OIT, mais de celui des juridictions nationales. D’où leur coup de force en 2012, date à partir de laquelle ils se sont opposés au traitement du sujet par l’agence onusienne.

Mais une solution semble avoir émergé lors du conseil d’administration de l’OIT qui s’est clôturé vendredi. Un compromis qui a débouché sur un nouveau rapport du comité de la liberté syndicale dans lequel la Turquie, la Colombie ou encore le Canada ont été épinglés pour non-respect du droit de grève. Reste que les recommandations du comité n’ont pas de valeur répressive.

Le point avec Bernard Thibault, ex-secrétaire général de la CGT et administrateur du Bureau international du travail depuis juin 2014.

Comment l’OIT a-t-elle réussi à sortir de cette impasse?

En novembre, nous avions demandé la saisie de la Cour internationale de justice de La Haye pour trancher la question, mais nous n’avions pas obtenu l’accord de la majorité des États. En février, lors d’une réunion tripartite entre représentants des gouvernements, des salariés et du patronat, un terrain d’entente a été trouvé. Le groupe gouvernemental a fait une déclaration forte à cette occasion en reconnaissant que le droit de grève est lié à la liberté syndicale et que, sans protection de ce dernier, la liberté syndicale n’est pas pleinement garantie. Du coup, les employeurs ont compris qu’ils étaient battus politiquement et ont renoncé à leur offensive. C’est pourquoi, depuis, de nouveaux cas d’infractions ont pu être traités.

Plusieurs Etats ont donc été épinglés par l’OIT pour non-respect du droit de grève?

Oui, puisque même si les différences d’interprétation persistent, elles ne bloquent plus le traitement des plaintes. Ainsi, dans le rapport du comité de la liberté syndicale qui vient d’être publié par l’OIT, 32 plaintes émanant principalement de syndicats de salariés ont été étudiées, dont une dizaine portant sur le droit de grève. Cette année, le rapport a par exemple traité une demande du syndicat des travailleurs dans les industries du verre, du ciment et des sols de Turquie contre le gouvernement turc accusé d’avoir abusé du mécanisme de suspension pour interdire une grève dans le secteur du verre.

En réponse, le comité a demandé au gouvernement de veiller à̀ ce que ces restrictions ne soient imposées que pour des services essentiels au sens strict du terme, soit pour les cas de fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité́ au nom de l’Etat ou en cas de grave crise nationale. La Bolivie figure aussi sur la liste, concernant des restrictions à l’exercice du droit de grève. Tout comme la Colombie, pour violation de ce même droit dans le secteur pétrolier. L’Indonésie est aussi citée, au sujet d’une attaque organisée par des organisations paramilitaires contre une grève nationale en 2013. Ou encore le Mali, pour licenciements de syndicalistes pour faits de grève dans le secteur des mines.

Des pays du sud principalement…

Dans la plupart des cas, cela concerne des pays dans lesquels les droits des travailleurs ne sont pas très développés. Mais, le gouvernement du Canada n’est, par exemple, pas épargné. Il est attaqué par plusieurs syndicats pour avoir adopté une loi restreignant le droit de grève dans la fonction publique. Tous les États peuvent donc être concernés. On peut se dire qu’un pays comme la France n’a pas vraiment besoin de ce comité. Pourtant, la dernière plainte contre la France sur le droit de grève remonte à 2010 quand Nicolas Sarkozy a décidé de réquisitionner les grévistes des raffineries de pétrole. A l’époque nous avions porté plainte et nous avons obtenu gain de cause, car l’activité en question n’était pas jugée essentielle. Non seulement cela a créé une jurisprudence en France, mais cette dernière peut servir dans tous les États. L’enjeu est donc important, même si l’avis du comité n’est pas une sanction au sens répressif du terme.

La solution trouvée est-elle durable ?

Disons qu’il s’agit plutôt d’une trêve décrétée par les parties. Les représentants des employeurs restent très critiques sur l’interprétation de la Convention 87. Mais ils le sont aussi sur d’autres conventions et ils ne faudraient pas qu’ils décident aussi de s’y attaquer. C’est particulièrement vrai sur la question relative aux formes inacceptables d’emploi, qui englobe les moyens décents pour vivre ou encore les conditions sanitaires, dont ils récusent le concept même. Ils ont tendance à considérer que ce qui est acceptable dans un pays ne l’est pas forcément dans d’autres, car cela renvoie, selon eux, aux cultures locales. De manière générale, ils invoquent l’autonomie des Etats sur différents volets. Mais dans ce cas, on peut se demander à quoi cela sert d’avoir des instances internationales ?