Comme chaque matin, le bus 72 dépose plusieurs vagues de salariés de Radio France devant le 116, avenue du Président-Kennedy. Reconnaissables pour certains à leurs badges «Radio France en lutte» épinglé au revers d’une veste ou à la poche d’une chemise. Même s’il n’y a pas d’assemblée générale ce mardi matin, ils sont encore nombreux à faire acte de présence à tous les étages, malgré le mouvement de grève qui dure depuis vingt-sept jours.
A la cafétéria, tous énumèrent avec satisfaction les matinales qui n'ont pas eu lieu : France Inter, France culture et, «comme tous les jours», France Info. Ils commentent la venue surprise de la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, lundi soir. «Il se passe des choses décisives en ce moment, insiste Sylvia, attachée de production à France musique. La venue de la ministre, ce n'est pas rien !» Gardienne de la caisse de grève qui circule dans la maison depuis le 24 mars, elle tend sa grosse tirelire en carton sur laquelle trône un cochon rose en tissu : «Au début, je n'imaginais pas que ça durerait aussi longtemps, mais au bout d'une semaine ça me semblait évident de collecter de l'argent.» Un billet de 5 ou de 50 euros, chacun fait un petit geste en fonction de ses moyens. «Et puis ça apporte un peu de bonne humeur !» ajoute-t-elle avec enthousiasme derrière ses lunettes aussi rondes que la maison qu'elle défend. En début de semaine, la caisse de grève a atteint la barre des 105 000 euros, le coût des travaux du bureau de Mathieu Gallet. Une coïncidence qui ne cesse d'amuser les grévistes regroupés dans la cour des fumeurs où les échafaudages des travaux plantent le décor.
«Cloisonné». A travers les couloirs, la question «T'y vas cet après-midi [à l'AG] ?» sonne comme un test pour sonder qui est encore concerné par le mouvement. Certains commencent à flancher moralement, même si l'engagement demeure. «Je suis un peu déprimé, je ne vois pas comment nous en sortir, confie ce chargé de réalisation à France Culture et France Musique. Pourtant, le projet stratégique me touche en premier lieu, car j'aime travailler sur Culture et Musique et, si ça passe, je serai cloisonné dans l'une ou l'autre.»
Au fil des discussions, les langues se délient et l'unité affichée se fissure. «Il faut reconnaître que les syndicats commencent à se diviser et les non-grévistes restent muets et invisibles», lance une salariée. Des voix dissonantes résonnent dans les étages de ce labyrinthe en rénovation. «Je suis pour arrêter le mouvement car je prends les menaces du médiateur au sérieux. Mais, lundi, j'ai quitté l'AG avant le vote car on se faisait huer dès qu'on parlait d'arrêter la grève», raconte une autre salariée du 10e étage. La quasi-unanimité des votes fait de plus en plus de sceptiques. Une employée des ressources humaines dénonce une mascarade dans les assemblées générales : «Lors des votes [pour les reconductions, ndlr], la moitié des présents ne sont pas grévistes et c'est pour ça que ça continue encore et encore…»
«Epuisant». Les auditeurs aussi expriment leur impatience sur les réseaux sociaux. Les grévistes tentent de calmer les esprits en ouvrant le dialogue. «Ils doivent comprendre qu'on se bat pour la qualité de leur radio et pas pour négocier nos salaires, tiennent à préciser trois salariés. Et on reste très actifs, on ne se tourne pas les pouces. C'est épuisant une grève en fait !» L'émission A l'improviste, sur France Musique, s'est transformée en forum de discussion le temps d'un enregistrement diffusé sur le Net, et le collectif de salariés «Le meilleur des ondes» informe au jour le jour les auditeurs sur leur blog. D'autres font des photomontages et habillent les murs de Radio France avec un peu d'humour pour faire passer leur message, malgré les micros coupés.