«Ça ne va pas être facile de trouver un job dans cette situation.» Ses papiers à la main, Juliana, une brunette de 24 ans, patiente devant une agence gouvernementale de recrutement à São Paulo. A l'ouverture, la salle d'attente est déjà pleine de ces anciens pauvres promus au statut de «nouvelle classe moyenne» par le boom économique des années Lula (2003-2010). Et dont les acquis sont menacés par le ralentissement de l'activité sous la présidence de Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, PT), réélue à l'arraché en octobre dernier.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), le Brésil serait désormais au bord de la récession. Et les mesures d'austérité pour assainir les finances publiques, tout comme le scandale de corruption à Petrobras qui a obligé le géant pétrolier à geler des investissements, n'arrangent rien. Le chômage, qui avait fortement reculé, a atteint en février son plus haut niveau en deux ans : 7,4% selon l'Insee local, soit 950 000 chômeurs de plus en trois mois. «Les choses se sont détériorées d'un coup», raconte Juliana. Il y a encore une semaine, la jeune femme était promotrice de ventes dans un supermarché. Son contrat de six mois n'a pas été renouvelé comme elle l'espérait.
«Classe C». L'employeur de son mari, lui, a supprimé les gratifications. Alors, fini les petits plaisirs qui étaient enfin devenus accessibles comme «aller au resto», raconte encore Juliana. «Il a fallu aussi enlever le petit de l'école privée», symbole de statut social. Le couple, qui a acheté à crédit de l'électroménager, une moto et une voiture, voit également son endettement s'alourdir avec la hausse des taux d'intérêt. En 2008, au plus fort de la crise financière internationale, ce sont pourtant ces Brésiliens avides de consommer qui avaient sauvé le pays d'une contagion qui aurait tourné à la déroute.En fait de nouvelle classe moyenne, il s'agit plutôt d'«un sous-prolétariat qui a accédé au prolétariat», selon l'expression d'André Singer, ancien porte-parole de Lula. Ici, on l'appelle la «classe C», qui gagne entre 97 et 342 euros mensuels et qui représente désormais 54% de la population. A ne pas confondre avec les bénéficiaires de la Bolsa Familia, la prestation sociale versée aux plus démunis. Depuis l'arrivée du PT au pouvoir, il y a douze ans, plus de 40 millions de Brésiliens ont accédé à cette classe C, grâce à l'expansion de l'emploi déclaré, comme des revenus et du crédit.
Jusqu’ici, le taux de chômage était resté étonnamment bas. Entre autres, parce que la hausse continue des salaires des chefs de famille de cette catégorie sociale avait permis aux jeunes de faire des études sans avoir à travailler en parallèle, comme dans les milieux aisés. Beaucoup d’entre eux avaient ainsi renoncé à chercher un emploi. Les voilà qui reviennent sur le marché du travail pour contribuer au revenu familial. Car les revenus progressent désormais plus lentement et le taux d’inflation frise les 8%... Pour Lucia Garcia, économiste du Dieese, un think tank issu du mouvement syndical, la création d’emplois ne parvient plus à absorber la demande. Mais pour l’heure du moins, on n’observe pas encore de plans de licenciement massifs. La forte dévalorisation du real devrait même relancer les exportations, juge cette spécialiste. Entre-temps, l’industrie se délite face à la concurrence étrangère.
Rabais. Fernando en sait quelque chose. Ce tourneur, père d'une fillette, a perdu son job il y a déjà plus d'un an. Depuis, c'est son épouse, couturière, qui assure les besoins du foyer. Fernando a bien retrouvé quelque chose, «mais à un salaire inférieur. Il va falloir se résoudre à gagner moins», dit-il. De fait, les entreprises profitent de la crise pour embaucher au rabais... Hanté par la peur d'un déclassement, Fernando n'a pas voté pour Dilma Rousseff en octobre. Comme lui, beaucoup de membres de la classe C se sont détournés du PT auquel ils doivent leur ascension. Mais contrairement aux couches aisées, ces nouveaux consommateurs ne manifestent pas dans la rue contre la Présidente. «Pour autant, ils n'accepteront pas passivement une baisse de leur niveau de vie, reprend Lucia Garcia. Devenu moins pauvre, le peuple que l'on disait si accommodant est devenu plus exigeant.»