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Libération
Interview

Alexandra Chan : «Les multinationales doivent assumer leur responsabilité sociale»

Alexandra Chan, de l’ONG hongkongaise Sacom :
par Charles Vally, (à Hongkong)
publié le 26 avril 2015 à 18h46

Le 9 janvier, la Sacom, une ONG de Hongkong, publiait un rapport sur les conditions de travail déplorables dans les usines de deux sous-traitants du groupe japonais de prêt-à-porter Fast Retailing, maison mère de la marque Uniqlo. Le document mettait en évidence des abus au niveau des heures supplémentaires, des équipements de protection des ouvriers et de la température dans les ateliers. Alexandra Chan, en charge du dossier Uniqlo à la Sacom, explique le travail de son association.

D’où vient la Sacom ?

En 2005, lors de l’ouverture du Disneyland de Hongkong, des étudiants et chercheurs se sont intéressés à l’origine des produits vendus chez Disney, et ont lancé une campagne intitulée «Looking for Mickey Mouse’s Conscience». L’enquête révéla les conditions de travail déplorables des ouvriers dans les usines de Shenzhen, juste de l’autre côté de la frontière de Hongkong. Les accidents étaient quotidiens, et nombre de travailleurs perdaient régulièrement des doigts. C’est dans ce contexte qu’est née notre ONG, avec le projet d’enquêter sur les conditions de travail dans les usines des sous-traitants des multinationales.

Comment se déroulent vos enquêtes ?

Les résidents de Hongkong n’étant pas autorisés à travailler librement en Chine continentale, les missions d’investigation sont confiées à des continentaux. Une des méthodes consiste à conduire des interviews en dehors des usines, par exemple dans les dortoirs ou les réfectoires. L’autre solution est d’infiltrer les usines en s’y faisant recruter comme ouvrier. Les infiltrés sont généralement sensibles à la question du mouvement ouvrier. Des gens engagés, qui souhaitent faire avancer les choses. Sans être des employés de la Sacom, ils sont rémunérés pour leur mission d’infiltration. Le travail peut être risqué, même si l’ONG veille à ne pas exposer les volontaires à des dangers inutiles et à ne violer aucune loi chinoise. Jusqu’ici, personne n’a été pris sur le fait par la direction des usines, mais des mesures de rétorsion sont évidemment imaginables. Pour le rapport Uniqlo, quatre enquêteurs ont collaboré.

Quelles sont vos relations avec les autorités chinoises ?

La Sacom s'adresse aux multinationales et non au gouvernement chinois. Les lois de protection des travailleurs en Chine sont assez complètes et suffisantes à ce stade, le problème vient de ce qu'elles ne sont pas souvent appliquées. La Sacom ne s'attaquant pas frontalement aux autorités, elle n'est pas considérée comme un ennemi. Notre objectif est de forcer les multinationales à appliquer le code de conduite qu'elles publient jusque dans les usines de leurs sous-traitants et à mettre en place des mécanismes de contrôle. Elles sont incitées à assumer leur responsabilité sociale, sous peine d'être sanctionnées par le consommateur. Les autorités comprennent en partie notre démarche. D'ailleurs, le rapport sur le cas d'Uniqlo a été cité dans le Global Times [quotidien considéré comme la voix du Parti, ndlr].

Quelles sont les conditions d’action des ONG qui défendent les droits des ouvriers en Chine continentale ?

Elles sont difficiles tout d’abord pour des questions d’existence administrative. Leurs possibilités d’action sont très circonscrites et elles sont de plus en plus surveillées par les autorités. Mais le développement de la société civile dont font partie ces ONG est une condition essentielle à l’amélioration des conditions de travail dans les usines. Si la Sacom peut s’exprimer aussi librement, c’est parce qu’elle est installée à Hongkong, où la liberté d’association est garantie. Ce travail ne serait pas possible en Chine continentale.