La présidente de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) a fait 905 tours du périphérique parisien en taxi. Ou plutôt a dépensé l'équivalent de ce marathon automobile autour de la capitale, soit pas moins de 40 000 euros facturés à la compagnie G7. Le Figaro a révélé lundi que les administrateurs de l'établissement public avaient eu la surprise de l'apprendre dans un courrier anonyme, reçu la veille du conseil d'administration du 23 avril.
Depuis sa prise de fonction en mai 2014, la PDG a ainsi dépensé 32 000 euros pour ses déplacements, en plus d'abonnements mensuels à la G7 pour un montant de 7 000 euros. Agnès Saal disposait normalement d'une voiture avec chauffeur, mais elle a estimé ne pas pouvoir «le faire travailler douze à quinze heures par jour ni les week-ends». D'où les taxis, utilisés aussi - et c'est plus gênant - par son fils. Montant des courses du fiston : 6 700 euros. Agnès Saal s'est engagée à rembourser ces frais invoquant «une maladresse».
Cruelle ironie : en octobre, devant la presse, Agnès Saal promettait «une gestion rigoureuse» voire «janséniste» de l'Institut, en visant les abus de son prédécesseur, lequel avait, selon elle, trop recouru à des consultants externes. Or ce prédécesseur n'était autre que Mathieu Gallet, devenu entre-temps président de Radio France, et qui a dû répondre en avril du coût excessif de la rénovation de son bureau, avant d'être blanchi par l'Inspection générale des finances… De quoi se poser de sérieuses questions sur le contrôle des dépenses personnelles des patrons de l'audiovisuel public.
Les dépenses des présidents de l’audiovisuel public sont-elles plafonnées ?
La gestion du budget de la direction n'est pas strictement encadrée. L'Inspection générale des finances (IGF) le signale dans son récent rapport sur Radio France : «Il n'existe pas de règles ou de bonnes pratiques générales et reconnues en matière de dépenses des instances dirigeantes de la sphère publique.» Les frais de réception reposent par exemple sur le «sens des responsabilités des administrateurs», selon une instruction de 1992. En 2015, à l'INA, les frais généraux, qui comprennent le transport mais pas seulement, ne devaient pas dépasser 4% des dépenses, selon la loi de finances 2015. Au Figaro, Agnès Saal indiquait lundi qu'elle avait décidé de ramener les frais de fonctionnement de la direction de 90 000 à 70 000 euros cette année.
Qui les vérifie ?
Il existe plusieurs niveaux de contrôle, selon l’ampleur des dépenses. Aux parlementaires, notamment les commissions culture de l’Assemblée et du Sénat, revient la tâche d’évaluer la bonne utilisation du budget global de l’entreprise. Ainsi, le budget de l’INA pour 2015 prévoit une dotation d’Etat de 91 millions d’euros, dont 71 millions prélevés sur les recettes de la redevance. Les parlementaires s’assurent qu’avec cet argent, l’Institut a bien rempli sa mission, essentiellement la sauvegarde du patrimoine audiovisuel.
Le budget interne, lui, relève essentiellement du conseil d’administration, où siègent des représentants de l’Etat, notamment un contrôleur du budget de Bercy, ainsi qu’un représentant du ministère de la Culture. Les comptes de l’entreprise peuvent également faire l’objet d’un audit mené par le Contrôle général économique et financier (CGEFI), qui dépend du ministère de Bercy. La Cour des comptes, pour sa part, mène des enquêtes approfondies sur plusieurs années, à l’image de ce qu’elle a fait récemment pour Radio France en examinant son fonctionnement de 2004 à 2013.
À quelle fréquence ?
Le dernier contrôle de l’INA par la Cour des comptes remonte à 2008.
Le rapport de l'IGF sur Radio France pointe là encore cette insuffisance : «Une harmonisation des seuils de contrôle existants semble pertinente», suggère-t-il poliment, ajoutant que «ceci permettrait d'éviter la redondance des contrôles et faciliterait la lisibilité des règles et leur respect». Cette lisibilité est en effet toute relative. Ainsi, l'IGF enquête sur demande du gouvernement, tout comme, à l'échelle plus stricte du ministère de la Culture, l'Inspection générale des affaires culturelles (Igac). Fleur Pellerin a d'ailleurs confié à l'Igac une mission sur le train de vie et les dépenses des patrons dans la sphère culturelle publique après l'affaire Gallet. Mais dans le cas de l'INA comme dans celui de Radio France, les procédures n'ont été lancées qu'après les révélations de la presse. La direction de l'INA, qui aurait préféré éviter le scandale, a lancé une enquête interne pour trouver l'origine de la fuite.