Après avoir vérifié que sa fille a bien fini son déjeuner, Mme Lee verse quelques croquettes dans la gamelle du chien. Elle regarde ensuite dans le frigo et, comme il n'y a plus de lait, elle en achète. Une fois le paiement effectué, elle se replonge dans sa bande dessinée. Comme la plupart des gens autour d'elle dans le métro ce jour-là, Mme Lee a les yeux rivés sur son portable. Car c'est via son smartphone qu'elle vient d'accomplir toutes ces tâches. Si la scène est fictive, elle fait désormais partie du quotidien en Corée du Sud, où le smartphone est devenu un outil complètement intégré à la vie quotidienne.
Pour communiquer avec les familles, près d’un tiers des maternelles du pays utilisent Kids Note. L’application permet aux parents de connaître dans les détails le menu du repas de midi comme du goûter et de recevoir pendant la journée des photos et vidéos, des notifications sur l’humeur ou la santé de leur bambin ainsi que toutes sortes d’alertes (rappel des sorties prévues ou des anniversaires à venir). Cette plateforme, qui gomme la frontière entre l’école et la maison, rassure les Sud-Coréens, généralement méfiants vis-à-vis des modes de garde collectifs. Preuve du succès : l’application a été rachetée en janvier par le géant local d’Internet, Daum Kakao.
Alertes. En mars, une autre application destinée aux parents a beaucoup fait parler d'elle. Conçue par le ministère sud-coréen de l'Education pour aider à la prévention du suicide chez les jeunes, elle passe au crible toutes les activités de l'utilisateur d'un téléphone, messages comme recherches internet, et lance des alertes aux parents (par téléphone, bien sûr) quand elle détecte des mots-clés jugés alarmants… Champion des nouvelles technologies, le pays bat en effet des records en matière de suicide, affichant le taux le plus élevé de l'OCDE avec 40 cas par jour.
Si les syndicats d’enseignants ont jugé le procédé intrusif, la population sud-coréenne a tendance à adopter rapidement les nouvelles applications technologiques, sans beaucoup se soucier des questions de confidentialité, comme c’est le cas en Europe.
Jeunes comme moins jeunes n’hésitent pas à effectuer des paiements en ligne, bien au contraire. Et là encore, c’est le sacro-saint téléphone qui est privilégié. Les achats sur appareil mobile affichent une croissance annuelle de 10%, tandis que ceux sur ordinateurs déclinent.
Plus de deux tiers des Coréens se sont déjà adonnés au «m-shopping» et le total des ventes sur appareils mobiles (smartphones et tablettes) a dépassé les 11 milliards d'euros l'an dernier, d'après la chambre coréenne de commerce et d'industrie. «Je commande vêtements, livres et produits de beauté sur mon téléphone. Je le fais dans les transports, c'est un gain de temps énorme. En plus, grâce à la 4G-LTE, la connexion internet est plus rapide sur mon smartphone que via le wi-fi à la maison», raconte Su-jin, étudiante. Et dans les vrais magasins, le smartphone sert de plus en plus de portefeuille. Samsung et LG, les deux géants locaux de l'électronique, proposent chacun un porte-monnaie numérique qui peut faire office de carte de crédit comme de coupon de fidélité, ce qui permet d'éviter d'accumuler les cartes. Ceux qui le souhaitent peuvent également différer le règlement de leurs achats en fin de mois et les faire passer sur leur facture téléphonique.
Cheval. Résultat, l'addiction au smartphone est devenue un vrai phénomène de société. D'après une étude du Boston Consulting Group (BCG) en partenariat avec Google, un tiers des Coréens préféreraient se passer de sexe plutôt que de renoncer à leur accès permanent à Internet… Un quart des lycéens seraient même menacés de «nomophobie», un syndrome de manque qui les rattrape quand ils ne peuvent pas utiliser leur téléphone portable…
Cet enthousiasme pour les applications mobiles est aussi synonyme de nouvelles opportunités économiques pour le pays. «L'Internet mobile est devenu un secteur économique majeur et représente désormais 2% du PIB», rapporte Ethan Choi, du BCG, dans le quotidien Joongang. La présidente coréenne, Park Geun-hye, a d'ailleurs fait de «l'économie créative» son cheval de bataille, un concept qui renvoie essentiellement à l'innovation numérique.
Sans surprise, la quatrième économie d'Asie a ainsi mis le cap sur les objets connectés. Dans la maison du futur imaginée par Samsung, l'ensemble des appareils ménagers sera relié au téléphone, qui fera office de télécommande. Par ailleurs, incubateurs et accélérateurs de projets se multiplient, et les start-up, dont le nombre a doublé depuis 2008, redoublent d'inventivité. Ballready, l'application qui permet à Mme Lee de contrôler à distance la gamelle de son chien, est l'une d'entre elles.