Elle avait promis une gestion «janséniste» et a dépensé 40 000 euros en taxi pendant ses dix premiers mois de présidence. Le paradoxe lui aura été fatal, la pression était devenue trop forte. Agnès Saal, PDG de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), a présenté sa démission mardi soir à la demande de Fleur Pellerin, sa ministre de la Culture et de tutelle, au terme d'une semaine très agitée, dix mois après avoir été nommée par Aurélie Filippetti. Mercredi dernier, veille d'un conseil d'administration, un courrier anonyme est envoyé au domicile des administrateurs. Le document comprend une lettre de présentation ainsi que des factures et relevés de course de la société de taxis G7 pour un total de 40 915 euros. Entre mai 2014 et mars 2015, Agnès Saal a ainsi dépensé au moins 32 000 euros, en plus d'un abonnement de 7 000 euros. Plus gênant, son fils, qui utilisait son code d'abonnement, s'est fait payer quelque 6 700 euros de courses.
Menace. A 9 h 30, le lendemain, le sujet est abordé dès le début du conseil d'administration par Agnès Saal, qui a appris l'existence des courriers anonymes. Elle se justifie, avance qu'elle ne sait pas conduire et ne peut exiger de son chauffeur qu'il fasse des «heures impossibles». Françoise Lamontagne, représentante CGT, prend la parole et demande que toute la lumière soit faite. Une demande réitérée dans un tract, distribué vendredi à l'INA. L'information ne reste pas longtemps confinée dans les murs de l'institut. Le Figaro en parle dans son édition de lundi.
Depuis, les réactions se multiplient. Pellerin demande «le remboursement intégral et immédiat des frais de déplacement de la présidente». La ministre de la Culture rappelle au passage son «attachement très ferme à l'exemplarité des dirigeants des organismes publics placés sous [sa] tutelle». Un avertissement, sinon une menace à peine voilée. Quelques semaines à peine après l'affaire Gallet, le président de Radio France épinglé pour le coût excessif de la rénovation de son bureau (et finalement blanchi), l'affaire fait tache. Joignant le geste à la parole, Pellerin saisit le Contrôle général économique et financier (CGEFI) qui dépend de Bercy. Les critiques fusent aussi à l'intérieur de l'INA. Un représentant de Force ouvrière, cité par l'AFP, considère que «la crédibilité de Mme Saal est très sévèrement entachée».
Mais la situation indigne aussi nombre de citoyens, d'élus et de responsables associatifs. Une pétition, lancée lundi en fin d'après-midi sur le site Change.org, réunit en quelques heures des milliers de signatures. Un adjoint PS à la mairie d'Avignon, Amine El Khatmi, annonce qu'il dépose une plainte pour «détournement de fonds publics», et publie sur Twitter le courrier adressé au procureur. Le président d'Anticor, une association luttant contre la corruption, a lui aussi menacé d'intenter une action en justice. Interrogé mardi matin par le Parisien, Jean-Christophe Picard expliquait son intention de saisir la justice pour «abus de bien social» si la présidente de l'INA ne démissionnait pas.
Pour le président d'Anticor, la démission d'Agnès Saal n'est pas une surprise. Réfutant l'élément de langage de la PDG, il considère qu'il ne s'agit pas «d'une simple maladresse, mais d'abus de bien social». Et constate qu'il s'agit «plus d'un limogeage que d'une démission», laquelle aurait dû être «immédiate». Pour l'heure, il n'envisage pas d'action en justice, renvoyant les administrateurs et le procureur à leurs responsabilités. Françoise Lamontagne (CGT) n'avait pas demandé la démission d'Agnès Saal. Elle note néanmoins que la situation était devenue «extrêmement difficile et inconfortable». Surtout, l'affaire «pouvait mettre en danger l'entreprise déjà fragilisée par des différends financiers».
«Opacité». Beaucoup s'interrogent sur l'absence de contrôles qui a permis un «tel dérapage, pour ne pas dire une telle faute», selon Françoise Lamontagne. Ainsi, FO a demandé à l'Etat «des mesures pour qu'enfin les dépenses des établissements publics soient gérées dans la transparence et non dans l'opacité la plus totale». Interrogés par Libération, plusieurs administrateurs de l'INA assurent n'avoir rien noté lors des précédents conseils d'administration. Le député UMP Franck Riester, qui y siège, indique que seules «les grandes masses du budget» sont représentées. Les contrôles externes, de Bercy ou du ministère de la Culture, sont déclenchés sur demande de l'exécutif. L'Inspection générale des affaires culturelles, par exemple, enquête sur les dépenses des patrons dans la sphère publique depuis l'affaire Gallet. Tout comme l'Inspection générale des finances. Les deux n'ont été saisies qu'après les révélations parues dans la presse.