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Libération
Interview

«On se souviendra de l’implantation internationale de Michelin et des plans sociaux»

Après avoir fait grandir la petite entreprise familiale de caoutchouc pour en faire l’un des leaders mondiaux du pneu, François Michelin s’est éteint mercredi 29 avril à 88 ans. Plus de dix ans après la retraite du capitaine d’industrie, que reste-t-il de son héritage ?
François Michelin à Paris le 5 octobre 1984. (Photo Dominique Faget. AFP)
par Geoffroy Lang
publié le 29 avril 2015 à 18h10

Entré en 1969 dans l'entreprise Michelin en tant qu'agent d'entretien et électricien, Alain Martinet a été salarié et représentant syndical au sein du fabricant de pneumatiques pendant trente-huit ans. L'auteur de Michelin, Mythes et réalités (E. Drouin, 2004) revient sur l'empreinte d'un des derniers grands noms du paternalisme industriel français.

Quel héritage a laissé François Michelin après avoir passé près de quarante-trois ans aux commandes de son entreprise ?

François Michelin est un homme qui s’est construit tout seul. C’est lui qui a transformé l’entreprise de son grand-père pour en faire ce qu’elle aujourd’hui : un des plus grands groupes internationaux dans son secteur. L’histoire retiendra certainement son implantation internationale mais aussi les plans sociaux qui se sont succédé à partir de 1982. A Clermont-Ferrand, nous n’avons quasiment que Michelin. C’est d’ailleurs la seule entreprise du CAC 40 dont le siège n’est pas à Paris. Mais la période des restructurations a été particulièrement douloureuse, puisque près la moitié des 30 000 emplois de la société ont été supprimés en quinze ans.

Entre une vision entrepreneuriale paternaliste et la gestion familiale de l’entreprise, est-ce que le modèle Michelin est devenu anachronique ?

Je pense qu'il existe encore un grand nombre d'industriels qui sont les héritiers de ce paternalisme démocrate chrétien. Mais lorsque François Michelin était à la tête de l'entreprise, le dialogue social était quasiment impossible avec les salariés. Il ne répondait pas aux tracts ni aux demandes de rendez-vous. La situation a cependant évolué avec l'arrivée de son fils à la tête de l'entreprise. Il faut bien comprendre que la nature juridique de l'entreprise (en commandite par action 1) lui permet de rester dans le giron de la famille. Le clan Michelin garde ainsi la main sur le capital de l'entreprise. Quand François Michelin a failli couler l'entreprise en rachetant Uniroyal [en 1989, ndlr] il était impossible de prendre le pouvoir de la société.

La mort accidentelle d’Edouard Michelin a-t-elle porté un coup d’arrêt au développement de l’entreprise familiale ?

Edouard Michelin était prêt à reprendre les rênes de l’entreprise. Il apportait du sang neuf et une nouvelle culture d’entreprise notamment au niveau de la communication et du dialogue avec les salariés. J’ai l’impression que la direction a continué d’emprunter cette voie après sa mort tragique. Après, la transition a été assurée par Michel Rollier, un autre membre du clan familial, avant que l’entreprise ne soit confiée à Jean-Dominique Senard en 2012. Mais je pense qu’il est fort possible qu’un des fils d’Edouard Michelin reprenne la direction de l’entreprise à terme.

On connaît peu de chose de la vie de ce célèbre patron d’industrie. Comment était l’homme que vous avez rencontré ?

En tant que syndicaliste puis comme adjoint à la mairie de Clermont-Ferrand, j’ai croisé François Michelin à trois ou quatre reprises. C’était quelqu’un d’assez complexe et difficile à appréhender. Il avait vraiment du mal à se livrer à ses interlocuteurs et préférait rester mystérieux. Il a toujours maintenu une certaine réserve, même lorsque nos rapports étaient moins conflictuels, lors de mon passage à la mairie de Clermont.

(1) Type d'entreprise dont les actionnaires se répartissent entre commanditaires et commandités, les premiers ayant une responsabilité limitée vis-à-vis des dettes du groupe et les seconds en nommant les gérants.