Face à l'urgence, certains Britanniques savent oublier leur réserve naturelle. «Peuple de Farnham, votez pour moi ! Je suis le docteur Louise Irvine et votre candidate dans le South West Surrey» hurle cette quinquagénaire distinguée dans son mégaphone. Légèrement surprise par l'écho de sa voix, mais déterminée à se faire entendre dans cette campagne. Samedi 2 mai, une ambulance jaune fluo aux couleurs du National Health Service (NHS) (en fait louée à un infirmier reconverti en accessoiriste) sillonne le centre de cette petite ville victorienne tout en briques rouges et jolis jardins. A son bord, Louise Irvine donc. Comme une douzaine de professionnels du soin, dont un cancérologue, une infirmière et un expert en santé mentale, cette généraliste de 57 ans se présente aux élections générales sous les couleurs de son parti, le NHA, reprenant habilement le logo du NHS. Ses 6 500 membres et 60 000 followers sur Twitter alertent les Britanniques sur l'état réel de leur système de santé public et gratuit que le gouvernement conservateur «sous-finance et fragmente pour mieux le privatiser, morceau par morceau» s'indigne la candidate.
Si elle a choisi cette circonscription du «sud-ouest du Surrey», à une heure de Londres, c'est parce que le sortant n'est autre que Jeremy Hunt, le ministre de la Santé de David Cameron. «Je l'ai confronté devant la justice et l'ai battu deux fois, maintenant je le défie dans les urnes, là où ça fait mal aux politiciens», balance-t-elle. Avant d'être candidate, elle a présidé l'association de sauvegarde de l'hôpital de Lewisham. Et la cour a confirmé en appel son recours jugeant que le ministre de la Santé avait abusé de ses pouvoirs en annonçant la réduction des services de maternité et d'urgence de cet établissement de la banlieue de Londres, où le Dr Irvine a son cabinet depuis vingt-cinq ans.
«Services Cendrillon». Avec son visage pâle et son manteau rose, Louise Irvine a le profil pour ne pas rebuter la population locale : blanche issue de la classe moyenne aisée mais en voie de vieillissement. Que le ministre de la Santé n'ait pas bougé le petit doigt pour s'opposer à la fermeture de six maisons de retraite publiques dans sa propre circonscription pourrait lui coûter des voix. L'annonce ce jour-là de la suspension du candidat centriste du Libdem pour falsification de documents électoraux «permet à Louise d'apparaître comme l'alternative. Il y a quinze jours, les parieurs la donnaient déjà en deuxième position», se félicite Sean Ellis, son représentant local. «Si je gagne, je n'exerce plus et je m'installe ici. Députée est un job à temps plein.» «Bravo pour votre campagne», lui lance Karen, 49 ans qui enseigne le «design technology» et se dit «paniquée par l'avenir des services publics».
Ce samedi, ils sont une quinzaine de militants à tracter pour Louise devant la vitrine du Farnham Herald, le journal local. Dont Carole Jones, une de ses copines, généraliste à Hackney une banlieue défavorisée de Londres : «Vous êtes de Libération ? C'est plus à gauche que le Guardian j'espère, car la presse pro-Labour ne nous aide pas.» Couverte d'un bibi rigolo et d'un manteau tacheté, cette femme de gauche rappelle que c'est le Labour qui a créé le «Foundation Trust» à l'origine de la fragmentation du NHS et que ses dirigeants «ont peur de dire stop aux coupes dans le public car ils sont soumis aux pressions des grandes compagnies de santé privées, comme KPMG et Care UK». Mais que c'est la droite au pouvoir qui a remplacé l'obligation de «donner» un service de soins gratuit à chaque Britannique par la seule nécessité de le «promouvoir» dans la loi santé de 2012. Les coupes affectent pour l'instant «les services Cendrillon» comme on les nomme ici : soins à domicile pour personnes âgées ou souffrant de troubles mentaux. «Des personnes fragiles qui souvent ne votent pas», rappelle Carole. La sous-traitance au privé des actes de soin les plus rentables risque à terme de moins bien passer. «En cas de complication, c'est nous qui devons reprendre en charge les malades», s'insurge Alex, vingt-huit ans, interne en chirurgie à l'hôpital de Bristol.
«Physiothérapie». En experte Louise Irvine décortique les tours de passe-passe de son rival : «Hunt nous traite d'alarmistes. Quand il affirme que le taux de privatisation du NHS n'a augmenté que de 1%, il ne prend en compte que les chiffres de 2013. En 2014, c'est 9 milliards de livres qui ont échappé au service public. Cinq fois plus que l'année précédente.» En sous-finançant le budget de la santé (0,9% d'augmentation quand il faudrait 4% pour être au niveau de l'inflation et des besoins d'une population vieillissante), les conservateurs sapent le système «doucement mais sûrement». Passe Julia, quarante-huit ans : «Après la privatisation du rail et des télécoms sous Thatcher, les conservateurs s'attaquent au NHS de façon furtive, explique cette conseillère d'éducation à l'Université. Mon hôpital local est géré par Virgin Care, une société privée. Et j'ai dû attendre six mois cet hiver pour ma physiothérapie. Pour être reçue plus vite, il me suffisait de payer.» «I am a woman with a chance», conclut Louise, consciente que le résultat sera serré. Son combat dépasse l'enjeu électoral. «Le coin est solidement conservateur Hunt avait fait 59% la dernière fois. Je ne crois pas que je vais l'emporter. Mais obtenir un bon score me permettra de ne pas les lâcher», sourit-elle. Sans qu'on en doute un instant.
(1) NHA : National Health Action Party