Embrassons-nous, Folleville ! Hier, la Commission a clos son bras de fer avec la France. Mieux, elle l'a félicité dans un grand élan d'affection publique : «Je salue les autorités françaises pour leur engagement à se réformer […] et pour les mesures prises afin d'assurer la viabilité des finances publiques et ramener le déficit sous 3% d'ici à 2017», a déclaré le très austère vice-président de l'exécutif européen chargé de l'euro, le Letton Valdis Dombrovskis. «Notre investissement en temps, notre capacité de persuasion ont payé», s'est félicité auprès de Libération le ministre des Finances, Michel Sapin. L'annonce, mercredi, du rebond inattendu de la croissance hexagonale (+ 0,6% du PIB au premier trimestre), soit mieux que l'ensemble de la zone euro (+ 0,4%) et surtout que la locomotive allemande (+ 0,3 %), est venue couronner la lune de miel entre l'exécutif européen et l'Hexagone.
Homérique. C'est dans le cadre du «semestre européen» que la Commission a rendu son avis : chaque pays de l'Union a droit, chaque année, à sa recommandation de politique économique (qui devra ensuite être adoptée par le conseil des ministres des Finances, l'Ecofin). Cette étape était, pour le coup, très attendue, car Paris devait absolument convaincre de sa volonté de poursuivre ses réformes afin de relancer durablement son économie. Et ce après avoir obtenu, en février, à la suite d'une bataille homérique menée par Pierre Moscovici, le commissaire chargé des Affaires économiques et monétaires, un nouveau délai de deux ans pour ramener son déficit public sous la barre des 3% du PIB.
La croissance en Europe
Plutôt que d'attendre le verdict après avoir transmis sa copie à la Commission, le gouvernement a cette fois mouillé sa chemise : Manuel Valls lui-même s'est rendu à Bruxelles pour appuyer les visites répétées de Michel Sapin et d'Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie, le 18 mars, afin d'expliquer que l'effort serait poursuivi en dépit des défaites électorales et de l'amélioration de la conjoncture. «Les circonstances géopolitiques, avec la crise grecque et la perspective du référendum britannique sur l'appartenance à l'Union européenne, ont sans doute joué en notre faveur, reconnaît Michel Sapin. Mais pas seulement, sinon la crédibilité de la Commission aurait été mise en cause.»
Pour elle, le compte est bon : la France ramènera son déficit à 3,4% en 2016, comme elle s'y est engagée, et les réformes seront poursuivies sur six fronts prioritaires : réduction des effets de seuil en matière de représentation du personnel, réforme des retraites complémentaires, réduction du coût du travail et du Smic, accords de maintien de l'emploi, amélioration du système fiscal, etc. «Il est essentiel que le gouvernement maintienne l'élan et profite de l'amélioration des conditions économiques pour poursuivre l'agenda des réformes», a souligné Dombrovskis. Autrement dit, «si on tient tous nos engagements, la Commission estime qu'il n'y aura pas de problème», dit Michel Sapin.
L'inflation en Europe
Côté déficit, Bruxelles se montre moins exigeant sur la réduction du «déficit structurel» (corrigé des variations de la conjoncture), la France prévoyant de faire moins que les -0,8% requis, puisque les objectifs de «déficit nominal» (le déficit réel) devraient être tenus. «On a bien fait de procéder à l'opération vérité de l'automne dernier, qui a beaucoup crispé, en annonçant clairement ce qu'il était possible de faire, estime le ministre. Surtout qu'au final le déficit annoncé de 4,3% pour 2014 n'a été que de 4%, ce qui a rassuré tout le monde.» L'effort supplémentaire de 4 milliards d'euros d'économie pour 2015 exigé par la Commission devra encore être validé le 20 juin, mais, pour Michel Sapin, l'affaire est entendue.
Bons élèves. Reste que, pour Bruxelles, l'économie française demeure fragile, comme en témoignent le niveau élevé d'un chômage (3 points de plus qu'en 2007, soit 10,3%) qui ne devrait pas décroître d'ici à 2017, la dégradation des parts de marché à l'exportation, le niveau très élevé des dépenses et de la dette publique, la faiblesse de l'investissement, etc. Ainsi, le rebond d'activité au premier trimestre est surtout porté par la consommation (favorisée par la baisse des prix de l'énergie) et n'a entraîné aucune diminution du chômage. Pis : 13 500 emplois ont été détruits au premier trimestre.
Le chômage en Europe
Autant dire que la France reste sous surveillance, car toute dégradation de la situation de la seconde économie de la zone euro aurait des répercussions sur l’ensemble de ses partenaires. Mais c’est aussi vrai des «bons élèves» de la zone euro, qui devraient faire plus d’efforts pour soutenir l’activité chez leurs partenaires. C’est en particulier le cas de l’Allemagne : la Commission estime qu’elle devrait investir dans les infrastructures, l’éducation et la recherche en profitant de ses marges de manœuvre budgétaire.
Pour Michel Sapin, c'est la preuve que Bruxelles commence à raisonner au niveau de la zone euro et pas «pays par pays» : «Il faut sortir de cette surveillance budgétaire trop rigide, trop tatillonne.» Mais il reconnaît que cela passe aussi par l'instauration d'un vrai gouvernement économique, qui implique une réforme des traités européens, une perspective qui hérisse toujours le gouvernement français.