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Libération
Interview

Bernard Jullien : «Renault s’est immergé dans un écosystème low-cost»

Auto . L’économiste Bernard Jullien analyse les enjeux liés au Kwid, voiture promise à 4 200 euros en Inde :
publié le 20 mai 2015 à 20h16

Petit prix et grosse ambition pour Renault. Carlos Ghosn a dévoilé mercredi en Inde une citadine vendue à 4 200 euros (300 000 roupies) et qui, espère le PDG, doit conquérir 5% d’un marché très concurrentiel. Comment cette ultra-low-cost française a-t-elle été conçue ? Le point avec Bernard Jullien, directeur du Gerpisa, groupe de recherche sur l’industrie automobile.

Comment Renault a-t-il réussi à sortir une voiture à moins de 5 000 euros ?

En profitant à plein de la localisation du produit. Renault et Nissan ont choisi de déporter le cœur du management du projet en Inde, que ce soit pour l’ingénierie, la fabrication ou la sous-traitance. Du coup, le groupe annonce un taux d’«indianité» de 98%. Les équipes françaises se sont immergées dans un écosystème low-cost afin d’acquérir des manières de travailler qui ne sont pas celles de Guyancourt. Dans l’usine mécanique, l’atelier est relativement peu automatisé, le process ne va pas chercher à gagner sur la main-d’œuvre.

Renault a profité de son expérience avec Dacia ?

Oui, il a un vrai savoir-faire en matière de design to cost ou comment ajuster le niveau de prestation voulu à une contrainte de coût a priori. Cela signifie multiplier les allers-retours afin de maximiser la prestation de chaque pièce et de chaque fonction de la voiture sans rien lâcher au niveau de l'objectif financier. Un savoir-faire repris et radicalisé ici. Car, contrairement à la low-cost de Dacia, Renault n'a pas utilisé de pièces conçues pour d'autres modèles. Vu le prix à atteindre, près de 5 000 euros à la vente, soit classiquement presque deux fois moins en coût de fabrication, cette recette a été bannie.

Le projet a d’ailleurs été confié à Gérard Detourbet, qui a piloté le chantier Logan.

Oui, Renault et Nissan se sont dit que si quelqu’un pouvait y arriver, c’était lui. Il est dans une démarche militante. Pour réussir, il faut prendre ses distances avec toutes les règles qui entravent d’habitude la capacité à gagner sur les coûts.

L’Inde compte 20 voitures pour 1 000 habitants. La Chine en est à 100 pour 1 000 et l’Europe à 600 pour 1 000. Le gisement semble immense…

Chacun perçoit qu’il y a un marché sous-exploité. Et le cœur de ce marché, il est là où Renault essaie d’aller, avec des véhicules à 4 000-5 000 euros. Là où les autres géants mondiaux, Volkswagen ou General Motors par exemple, peinent à être convaincants car ils ne savent pas faire. Il y a chez Renault une capacité à remettre sur le métier la question automobile qu’on a du mal à trouver chez beaucoup d’autres constructeurs.

Verra-t-on cette voiture en Europe ?

Difficile de prétendre que l’idée n’a effleuré personne. Le problème est de trouver la bonne équation économique. Les normes de sécurité plus strictes et tirées par les Allemands créent un univers concurrentiel défavorable aux petits véhicules. Il le sera encore plus pour le Kwid.

Renault a connu des échecs en Inde. Va-t-il remporter son pari, cette fois ?

Cette voiture est une alternative sexy à Hyundai et Maruti-Suzuki, qui dominent ce segment. C’est même étonnant d’avoir un truc aussi joli à ce prix-là. Mais est-ce que Renault a été assez «indien» dans sa manière de penser ? Il y a toujours une incertitude.

Le groupe avait besoin d’une entrée de gamme pour les marchés émergents. Si le Kwid ne rencontre pas son public ici, il le trouvera peut-être en Amérique du Sud. Et puis, il y a des pays plein de promesses, comme l’Algérie, l’Iran ou la Malaisie. On voit bien qu’il y a une ambition mondiale avec ce véhicule.