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Libération
interview

Guy Tapie «Le logement devient une base de repli»

Le sociologue Guy Tapie se penche sur les changements de comportement induits par la domotique :
(Mr Thehlam / Flickr)
publié le 26 mai 2015 à 20h01

Guy Tapie est professeur de sociologie à l'Ecole nationale supérieure d'architecture et de paysage de Bordeaux et auteur de Sociologie de l'habitat contemporain : vivre l'architecture, aux éditions Parenthèses. Pour lui, il existe un décalage entre les dispositifs techniques de plus en plus sophistiqués et leurs usages au quotidien.

En quoi la domotique et les objets connectés modifient-ils l’habitat ?

C’est un questionnement récurrent autour de ces dispositifs techniques. La domotique et les technologies permettant d’intégrer au logement des automatismes pour gérer sa consommation d’énergie, piloter à distance ses appareils électroménagers ou encore gérer la sécurité de sa maison devaient révolutionner l’habitat. Mais pour l’instant, ils n’ont pas changé ce que représente l’essence du logement au niveau du vécu symbolique et des pratiques d’habiter. Bien sûr qu’apporter de la plus value d’usage aux habitants est important. Qu’une maison connectée peut favoriser le maintien à domicile de personnes âgées et offrir un gain de confort au quotidien considérable. Mais par rapport à ses capacités, son usage actuel reste limité.

Pourquoi ?

Il y a un décalage important entre les innovations très pointues développées par les ingénieurs et les techniciens et leur utilisation quotidienne. Peut-être que les usagers n’ont pas adopté les bons comportements, mais les systèmes sont encore complexes. Dès que l’on veut en faire un usage plus sophistiqué, ils deviennent compliqués à gérer. Il faut télécharger des applications, les interfaces ne sont pas assez ergonomiques. Malgré la multiplication des solutions mises sur le marché, le prix qui baisse, la domotique s’apparente à l’heure actuelle à un logiciel bureautique sous-exploité dont on mobilise seulement 10% des fonctionnalités.

Selon une étude récente (1), les solutions connectées les plus demandées sont celles concernant la protection et la sécurité. Comment expliquer cette demande ?

C’est une dimension très marquante dans l’évolution de l’habitat de ces dernières années, et l’offre de protection a considérablement progressé. Le logement devient une base de repli, une barrière protectrice contre l’extérieur dans une société perçue comme dangereuse. Dans ce contexte-là, les nouveaux dispositifs techniques jouent un rôle important. Les caméras, les visiophones, les portes à cartes magnétiques et toutes les solutions de surveillance à distance contribuent à un repli, voire une rétraction dans son domicile. Les barrières entre espace public et intime sont de plus en plus étanches.

N’est-ce pas paradoxal alors de souhaiter vivre dans une maison connectée ?

Si ! Alors que nous sommes de plus en plus en réseau, que nos objets sont connectés, qu’ils établissent ou réactivent des liens, leur usage amène à s’isoler, favorisant une individualisation de l’appropriation des espaces du logement. On est en même temps relié au monde et l’on dresse des barrières physiques entre soi et la société. La maison connectée améliore probablement le confort des habitants, la gestion des ambiances au niveau thermique et acoustique, l’accès à des services, mais porte le risque de se déconnecter de pratiques de sociabilité qui se restreignent alors à des relations de voisinage choisies.

(1) Etude CSA pour Orange réalisée en octobre 2014.