Pour la construction de sa future maison, Olivier Lanlo a pensé à tout. Des chambres individuelles pour les enfants à l’aménagement d’un grand salon, le cahier des charges est si complet qu’il consacre même une ligne aux objets connectés. Une évidence pour ce chiropracteur après qu’il a visité par hasard à Rennes un showroom de la société spécialisée en domotique Delta Dore.
Une serrure connectée au smartphone, un système de gestion des ambiances lumineuses, des capteurs de contrôle de la consommation d'eau et d'électricité sont déjà prévus, pour un budget de 5 000 euros. L'investissement en vaut la peine, selon le père de famille : «Les enfants peuvent oublier leurs clés et nous ne sommes pas forcément présents à ce moment-là. Pouvoir commander, ouvrir à distance, c'est un gain de temps et de tranquillité.» Ce n'est pas Cédric Locqueneux qui viendra le contredire. La maison connectée fait partie de sa vie depuis dix ans. Sur son blog Maison-et-domotique.com, il partage ses trouvailles et ses conseils. Tous les matins, ce passionné est réveillé par une lumière tamisée. La porte d'entrée se ferme automatiquement quand il s'éloigne de son domicile. Cette maison intelligente sait aussi s'adapter à son quotidien : «Mon système est connecté à mon agenda Google. Si je prends une journée de congé, les volets s'ouvrent plus tard.»
Une maison connectée, pour quoi faire?
Chaque utilisateur a un besoin différent et cette diversité est source de défi pour des fabricants de plus en plus nombreux à se lancer sur ce marché prometteur. «On achète rarement une maison connectée, mais on arrive à la domotique par l'achat d'une alarme par exemple, puis on s'équipe au fur et à mesure», constate François-Xavier Mallet, directeur marketing d'Okidokeys, spécialisé dans les serrures connectées.
Le confort et la sécurité forment les deux secteurs les plus porteurs de la maison connectée, en particulier pour les personnes âgées et dépendantes. Capteurs au sol pour détecter un corps inanimé, bijoux connectés en permanence aux services d’urgence, piluliers intelligents reliés au smartphone : autant d’innovations présentées lors du dernier Salon des seniors à Paris, qui permettent le maintien à domicile et rassurent les familles.
D'autres objets soulagent plutôt le porte-monnaie. Un thermostat connecté permet par exemple de faire 37% d'économies d'énergie «sans rien changer au confort», assure Fred Potter, président de Netatmo, leader en France sur ce secteur. «Le thermostat s'adapte à la météo et on ne chauffe une pièce que quand une personne est présente.»
Le smartphone à tout faire
L'image de gadget colle pourtant toujours à la peau des objets connectés. Difficile pour les fabricants de convaincre le grand public. «Nous avons surtout des clients entre 28 et 40 ans, des citadins propriétaires qui appartiennent aux CSP+. Mais nous ne sommes pas encore dans un marché de masse», concède Loïc Poirier, directeur général d'Archos. La société française a été chargée par le gouvernement français d'une étude sur 3 200 foyers. Ces familles recevront une tablette domotique, Archos Smart Home, et devront rendre compte chaque semaine de leur expérience, principalement sur la maîtrise de l'énergie.
Les experts en sont convaincus : le marché du «smart home» a tous les ingrédients pour atteindre prochainement sa maturité. Plus de 60% des Français ont déjà un smartphone qui devient de fait «la télécommande de la maison connectée et la plus grosse partie du budget nécessaire pour s'équiper», estime François-Xavier Jeuland, président de la Fédération française de domotique.
Les fabricants travaillent désormais sur la facilité d'installation des produits. «Il faut des petits objets intelligents, invisibles dans l'habitat, sans aucun fil mais équipés de batteries qui durent plus d'un an. Avec le système plug and play de certains objets, on branche et ça fonctionne», se félicite Loïc Poirier.
Cher, pas cher ?
Le nerf de la guerre, c'est encore le prix. L'équation entre qualité du produit et prix abordable n'est pas toujours simple à résoudre. «Pour une plateforme domotique, vous avez une entrée de gamme à 100 euros et ça va jusqu'à 2 000 euros selon les fonctionnalités recherchées. Il y a un marché pour tout le monde», estime Marcel Torrents, président du directoire de Delta Dore. Des interrupteurs et capteurs connectés se vendent 50 euros pièce. Un budget de moins de 500 euros permet de goûter aux joies de la maison connectée.
L'arrivée encore timide des objets intelligents dans les rayons des grandes surfaces d'électronique et de bricolage participe aussi au développement du marché. Electriciens, chauffagistes partagent le rôle d'intermédiaires avec les promoteurs et architectes, en attendant peut-être les fournisseurs d'énergie et les assureurs. «Aux Etats-Unis, on diminue la police d'assurance pour les clients qui achètent par exemple des détecteurs de fumée. Si on vous sponsorise, ça participe à la démocratisation», anticipe déjà François-Xavier Jeuland.
Les start-up françaises comptent surtout sur leur créativité pour s'imposer. «La recherche de l'innovation et d'un vrai design est un investissement permanent», assure Julien de Préaumont, responsable marketing de Withings, leader dans le secteur de la santé. Cette start-up plaide l'intérêt général en publiant des études sur les rythmes de sommeil ou le poids de ses clients. «Ça nous permet de sensibiliser la population aux problèmes de santé, mais ces données restent anonymes», assure Julien de Préaumont.
Quid des données personnelles ?
Une précision indispensable alors que la maison connectée nage dans de nombreux débats sur la protection des données, «le pétrole du XXIe siècle», selon Guillaume Seligmann, avocat au cabinet Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral et spécialiste des nouvelles technologies. Tous les sondages le montrent : les clients ne sont pas rassurés quant à l'utilisation et la monétisation de leurs données personnelles. La loi informatique et libertés et des dispositions européennes interdisent pourtant aux fournisseurs de les transmettre sans autorisation, mais cette barrière n'empêche pas la collecte d'un nombre colossal de données anonymes. «Avec ces statistiques, certaines assurances pourraient définir une grille tarifaire selon les profils et refuser de porter le risque de certaines personnes, craint l'avocat. C'est plus sensible parce que la maison est la forteresse de la vie privée, mais le consommateur garde un certain contrôle et choisit comment il utilise l'objet. Il serait dommage de se priver par principe des progrès offerts par ces technologies, pourvu que leur usage soit efficacement contrôlé.»
Des systèmes hackables ?
Si la domotique veut progresser, il faut qu'elle soit protégée du piratage. C'est la grande crainte des clients. Chez Delta Dore, l'alerte est donnée si une personne cherche à pirater les codes de la porte d'entrée. Okidokeys ne conserve pas l'adresse de ses clients dans ses fichiers. «C'est notre antivol. L'ouverture de la porte fonctionne par Bluetooth, pas par wifi. Il faut donc être à proximité pour l'ouvrir», explique Xavier Mallet. D'autres assurent que le système continuera à fonctionner plusieurs heures même en cas de coupure volontaire du courant. Des protocoles de sécurité sophistiqués qui ne garantiront pourtant jamais le risque zéro.
Simplicité, sécurité, efficacité, trois termes qui obsèdent les professionnels de la maison connectée car aucun des acteurs économiques ne veut laisser passer le train. D’ici 2020, deux milliards d’objets connectés devraient être vendus en France.