Certains ont plusieurs centaines d'années. Ils ont résisté à la canicule, aux intempéries et à leur exploitation agricole. Mais Xylella fastidiosa est en train d'avoir leur écorce et de dessécher leur sève. Identifiée pour la première fois dans les Pouilles - première région productrice d'huile d'olive en Italie - en 2013, cette bactérie transmise d'arbre en arbre par un petit insecte, la cicadelle, provoque une véritable hécatombe d'oliviers dans la province de Lecce. Les feuilles sont les premières touchées, puis rapidement les branches, avant d'atteindre mortellement le tronc, offrant un paysage spectral dans cette douce terre d'oliveraies. Entre Gallipoli et Lecce, plus d'un million de plantes (soit 10% du total) sont déjà irrémédiablement infectées.
Dans cette zone, le combat est désormais considéré par beaucoup comme perdu et l'épidémie progresse. «Si l'on ne fait rien, nous n'avons pas d'éléments pour exclure que la maladie contamine tout le bassin méditerranéen», estime Donato Boscia, chercheur à l'Institut de virologie végétale de Bari. «La situation est préoccupante», enchérit un fonctionnaire français, alors que Paris a provoqué le courroux des cultivateurs locaux après avoir décidé unilatéralement, le 2 avril, un embargo des importations sur une centaine de végétaux en provenance des Pouilles afin d'éviter la contagion.
Chaux. Depuis, l'Union européenne a pris le relais et ajusté, fin avril, la riposte. L'essentiel réside dans la mise en œuvre d'une sorte de cordon sanitaire au nord de Lecce pour éviter la propagation de la maladie. Rome prévoit la mise en place d'une zone-tampon et d'une zone d'éradication de 20 kilomètres de long et de 50 de large au nord du foyer infectieux. Tout arbre déjà malade y sera abattu et une stricte surveillance sera mise en place dans un rayon de 100 mètres autour de chaque souche contaminée. En cas de nouveau foyer, non seulement l'olivier incriminé sera immédiatement arraché mais toutes les plantes susceptibles d'accueillir la bactérie (soit 200 espèces) devront être détruites dans un rayon de 100 mètres.
«Pour le moment, il n'y a pas de thérapie contre Xylella fastidiosa», souligne Donato Boscia, qui regrette que l'on ne soit pas intervenu plus tôt autour du foyer initial de Gallipoli. «La seule solution, poursuit-il, c'est d'isoler le foyer infectieux et d'agir sur le vecteur de transmission.»
Dans un premier temps, c'est 35 000 plantes sur l'ensemble du territoire du Salento (l'extrémité du sud-est de la Botte) qui pourraient être arrachées. La maladie a déjà été repérée du côté de Brindisi. «Je suis pessimiste. Si l'on n'agit pas, on pourrait voir apparaître Xylella vers Bari dès l'année prochaine», pronostique Giovanni Melcarne, oléiculteur à Gagliano del Capo animant l'association la Voce dell'Ulivo. Il indique que, pour le moment, seuls sept arbres ont été abattus : «Il y a un an et demi, 8 000 hectares étaient touchés. Aujourd'hui, il y en a 95 000.»
Sur le papier, le plan italien soutenu par les autorités européennes semble de nature à contrecarrer la diffusion de l'épidémie. Mais il tarde à être mis en œuvre. Notamment en raison de l'opposition d'une vingtaine de cultivateurs épargnés par l'infection qui ont déposé un recours devant le tribunal administratif. Ils refusent l'usage systématique d'insecticides pour éliminer la cicadelle, des traitements qui leur feraient perdre l'étiquette de «production bio». Les juges leur ont donné raison, obligeant le gouvernement à revoir sa copie. «Ils risquent de ne pas perdre l'étiquette bio mais, à terme, de perdre leurs arbres», estime Giovanni Melcarne. Son collègue de la Voce dell'Ulivo Francesco Barba ajoute qu'«il vaut mieux arracher un arbre pour en sauver cent».
Certains producteurs continuent toutefois de s’opposer à cette solution radicale. Ils ne peuvent se résigner à l’idée d’abattre leurs oliviers et pensent pouvoir freiner l’épidémie en taillant les branches malades ou en utilisant des remèdes alternatifs, à base de sulfate de cuivre et de chaux.
Quant à certaines associations écologistes, elles mettent en doute la responsabilité de la bactérie dans la maladie et pointent du doigt des champignons. «Ces positions sont minoritaires», assurent les associés de la Voce dell'Ulivo, qui refusent toutefois le recours«systématique» aux insecticides pour bonifier la zone.
Rumeur. «Dans le nouveau plan, nous utiliserons moins de pesticides», a promis le commissaire du gouvernement Giuseppe Silletti. «Les mesures sont violentes. Abattre les arbres malades et les plantes dans un rayon de 100 mètres, soit 3 hectares et demi, c'est considérable. Mais ce plan est incontournable», juge-t-on côté français, où l'on reconnaît que la décision de l'embargo unilatéral - déclarée «totalement inopportune» par le ministre italien de l'Agriculture, Maurizio Martina - visait à calmer les syndicats d'exploitants, notamment corses, et à lancer un signal en direction de Bruxelles. A Paris, on ajoute : «Les mesures sont désormais satisfaisantes mais, maintenant, il faut les mettre en œuvre et faire preuve de solidarité avec les cultivateurs italiens en débloquant des crédits européens.» D'autant que dans les Pouilles, si le gouvernement est attaqué pour avoir tardé à réagir, on tient l'Europe responsable d'avoir laissé pénétrer le fléau.
La rumeur veut que l'infection provienne d'une erreur de manipulation lors d'un congrès tenu en 2010 à Bari par l'Institut agronomique méditerranéen. Mais Xylella fastidiosa serait plus sûrement arrivée sur le continent depuis le Costa Rica, via un plant de caféier débarqué dans le port de Rotterdam, aux Pays-Bas. «Maintenant que le mal est fait, l'Europe compense en prenant certaines mesures de précaution disproportionnées», analyse Donato Boscia, en concluant : «La liste d'une centaine de plantes vivantes du Salento interdites d'exportation est excessive. Xylella peut par exemple attaquer les cerisiers ou les lauriers-roses mais il n'y a pas de risque évident pour les vignes.»