«On est passé d'une anomalie mineure sur 100 moteurs à une sur 1000 !» s'enthousiasme Nathalie Marciniak, responsable du montage et des essais de production au sein de Snecma. Une équipe hybride, inédite dans l'entreprise, a permis d'atteindre ce niveau de perfection. Sa particularité ? Elle réunit hommes et robots, associe impression 3D, tablettes et autres objets connectés. Une préfiguration de cette usine du futur vantée par le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, pour réindustrialiser la France (lire Libération du 19 mai).
C’est à Moissy-Cramayel (Seine-et-Marne), à 50 kilomètres au sud-est de Paris, que la mue technologique entreprise par Snecma il y a deux ans s’observe le mieux. Cinq mille personnes travaillent ici, en bordure des champs de colza, sur le site historique de la société du groupe Safran spécialisée dans l’assemblage de moteurs d’avions et de fusées.
Code-barres. L'usine Snecma - qui se targue d'être le deuxième employeur du département derrière Disneyland Paris - s'articule autour d'un immense hangar de 6 hectares où la hauteur sous plafond avoisine les 12 mètres. Des dizaines de moteurs d'avion s'y baladent dans les airs suspendus à des grues de portage. Ceux de l'avion de combat Rafale et du transporteur militaire Airbus A400M (dont un appareil s'est crashé le 9 mai en Espagne) y sont assemblés. La famille de réacteurs stars s'appelle CFM56, construite en coentreprise avec l'américain General Electric : c'est elle qui équipe les Airbus A320 et les Boeing 737. «Il s'agit du moteur le plus vendu dans l'histoire de l'aviation civile», assure l'entreprise.
La période est faste. Les carnets de commande ne désemplissent pas. Et le passage de relais du «56» à son successeur, le Leap, plus économe et moins bruyant, n'inversera pas la tendance : 8 900 exemplaires du nouveau moteur ont déjà été commandés. Les premiers doivent être prêts pour 2016 et, d'ici à 2019, Snecma a pour objectif d'en produire 1 800 par an. Deux fois plus que le nombre de moteurs sortant du hangar aujourd'hui. «Cela nous pousse à tester de nouvelles technologies de production, glisse Kamal Bessri, chargé du contrôle qualité. Question cadence, il faudra réaliser en trois ans ce qu'on faisait jusqu'ici en douze !»
Un défi que Snecma compte relever à l'aide d'iPad. Pour savoir où visser et quel harnais fixer, la plupart des monteurs ne se déplacent plus vers l'ordinateur voisin du poste de montage. Ils lisent les instructions directement sur leur tablette. «C'est plus pratique, on l'a tout le temps sous la main. On peut aussi zoomer sur le plan quand il est trop petit», vante l'un d'eux. L'objet leur sert également pour s'assurer, à la fin d'une étape de montage, que toutes les pièces sont à la bonne place. «Avant, on avait des check-lists papier. Ça s'empilait. Maintenant, les données sont directement analysées par nos ingénieurs pour améliorer le process», raconte Kamal Bessri.
Un dispositif de réalité augmentée est aussi testé. «En filmant le moteur avec une tablette, on peut y faire apparaître en superposition l'emplacement des pièces manquantes ou repérer une anomalie», explique un ingénieur. Et ainsi réduire le nombre de défauts en bout de ligne.
Parmi les autres innovations figure la conception de visseuses «à contrôle intégré», capables de se caler automatiquement sur la bonne force de serrage en scannant un code-barres associé à une étape. «Ça évite les oublis ou les vis mal serrées. On veut réduire au minimum le facteur humain», précise Kamal Bessri. Un outil en a ainsi remplacé dix.
Flash. Les employés ont aussi vu arriver quatre robots. En place depuis moins d'un an, ils servent à repérer les ultimes défauts de montage. «Quatre caméras surmontent chaque bras robotique. Ils prennent 500 photos du moteur et les comparent à des clichés de référence», explique un autre ingénieur. Au bout de vingt minutes, les flashs cessent. Le rapport de l'opération est analysé par un contrôleur (humain). Cette fois-ci, pas de vis oubliée ou de collier mal positionné : tout est au vert. «Cette étape prenait quatre heures au technicien auparavant. C'était un travail fastidieux», rappelle Nathalie Marciniak.
Les automates menacent-ils les autres postes ? «On envisage de leur confier des tâches pénibles, comme le serrage de dizaines de vis, qu'ils pourraient faire pendant la pause déjeuner des monteurs. On y pense aussi pour leur amener les outils, ajoute la manager. Mais on ne peut pas tout automatiser. L'objectif est d'aider l'homme avec le robot et non de l'abêtir.»
Un délégué syndical (CFDT) ne dit pas l'inverse : «On a besoin d'automatisation. A condition que ce soit fait en concertation avec tous.» C'est le cas, à en croire Kamal Bessri : «Nous ne voulons pas réduire les effectifs, mais améliorer la qualité.» Un groupe comme Safran peut se le permettre : l'an dernier, son résultat net a augmenté de 4,6% à 1,2 milliard d'euros. Assez pour investir dans le futur.