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La France prépare sa drone de guerre aérienne

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Au salon du Bourget, la Direction générale de l'armement présentera un scénario d'utilisation combinée d'un futur drone de combat avec le Rafale pour 2025. L'armée hésite sur la technique de ses engins sans pilote, tueurs ou pas tueurs ?
Présentation du Neuron, précurseur de drone de combat européen, à Istres, le 19 décembre 2012 (Photo Boris Horvat. AFP)
publié le 14 juin 2015 à 15h52

Si tu veux la paix, prépare la guerre… Déjà bien engagée contre les jihadistes dans le ciel du Mali et du Niger avec des engins de surveillance non armés, l’armée française veut maintenant ses propres drones de combat équipés de missiles. Pas des engins «tueurs» de type Predator, chargés d’éliminer des combattants au sol ; on parle là de vrais jets sans pilote capables de remplir une partie des missions jusque-là dévolues aux avions de chasse multirôles comme le Rafale de Dassault.

Lors de cette grande foire aux armes de guerre aérienne qu'est le salon aéronautique du Bourget, la Direction générale de l'armement (DGA) dévoilera ainsi sur son stand un film interactif préfigurant l'utilisation combinée du fameux drone furtif Neuron et du Rafale en 2025 dans le cadre d'Opex (opérations extérieures).  «La DGA présente pour la première fois et en exclusivité sur le stand du ministère de la Défense […] une démonstration interactive d'une mission comprenant drones de combat et Rafale. Le visiteur devra faire les bons choix pour la mener au succès», annonce fièrement cet organisme chargé de mettre en œuvre les grands programmes d'armement français.

Voilà le clip de pub mis en ligne sur le site de la DGA pour attirer le chaland :

Encore loin d’être opérationnel

Le Neuron est ce qu’on appelle un Ucav (Unmanned Combat Aerial Vehicle, comme disent les Américains), développé depuis des années par Dassault Aviation et la DGA. Il est encore loin d’être opérationnel. Mais dans la guerre du futur rêvée par nos ingénieurs de l’armement, on verra des drones Neuron envoyés en éclaireur pour ouvrir la voie aux avions de combat. Pilotés à distance, ces engins auront notamment pour mission de repérer et détruire les systèmes de défense antiaérienne, et permettre ainsi aux Rafale de frapper des «cibles stratégiques» sans risquer leurs plumes et la vie de leurs pilotes…

«2020-2025 c'est la rupture : l'arrivée des premiers drones de combat c'est une évolution future du Rafale», a expliqué le chef d'état-major de l'armée de l'air, le général Denis Mercier, lors du Paris Air Forum organisé vendredi par la Tribune. Le Neuron n'est pas une simple vue de l'esprit futuriste de nos ingénieurs généraux de l'armement. Le premier vol d'essai de ce «démonstrateur technologique de drone de combat» a été effectué le 1er décembre 2012 depuis la base d'Istres. Le bébé de Dassault a «fait preuve d'une disponibilité et d'une fiabilité exemplaires», précisait à l'époque l'avionneur. La DGA a de son côté sobrement souligné «les enseignements tirés sur la furtivité de ce type d'aéronef» conçu pour échapper aux radars ennemis. Dassault en a tiré ce film publicitaire où l'on voit Neuron voler à côté d'un Rafale et d'un avion de ravitaillement, sur fond de musique techno-conquérante :

Depuis, le futur drone de combat made in France a poursuivi ses essais avec une centaine de vols. Car même s’il engrange actuellement les contrats pour le Rafale, Dassault commence à préparer la suite : l’avenir de son business est aux Ucav.

Le Neuron dans ses œuvres en 2014 :

L’homme restera-t-il «dans la boucle» ?

Verra-t-on un jour ces engins remplacer complètement le pilote de chasse et son avion ? «Les drones et les avions pilotés ont chacun leurs avantages et leurs limites, c'est l'utilisation ensemble qui est intéressante», a répondu le général Mercier, cité par l'AFP. En clair, pour l'armée française, pas question pour le moment d'exclure l'homme du processus de décision menant à une frappe : «Nous n'irons pas vers du tout automatisme, nous maintiendrons l'homme dans la boucle.» Les Américains n'ont pas les mêmes préventions contre la guerre robotisée : leur agence de recherche militaire, la Darpa, mène de nombreux programmes en ce sens. On voit ici l'impressionnant drone de combat X-47 développé par Northrop Grumman pour la Navy, qui a déjà tout d'un avion de combat autonome…

Vu l'avance des Américains, la France met donc des bouchées doubles pour développer son Future Combat Air System (FCAS) avec les Britanniques : un démonstrateur de drone de combat sera développé conjointement par Dassault et le britannique BAE dès 2017, à partir du Neuron (appelé «Taranis» outre-Manche). «Ce sera une brique pour aboutir au drone de combat», à l'horizon 2025, au mieux, indique la DGA.

La France mène aussi, dans le cadre de l'Europe de la défense, un programme de drones de surveillance virilement baptisé «Male» (pour «moyenne altitude, longue endurance»). Libération en parlait récemment ici. Objectif : ne plus dépendre des Américains ou des Israéliens en matière de drones de surveillance, les seuls à être utilisés pour le moment par l'armée française. Car les engins actuellement déployés sur la base de Niamey, au Niger, sont trois Reaper de fabrication américaine et deux Harfang d'origine israélienne… Ces drones de surveillance et de renseignement, non armés mais bardés de caméras et de senseurs électroniques, ont pour mission de débusquer les groupes armés qui se terrent dans le désert entre Libye, Mali et Niger. Et leur œil de faucon a récemment contribué à l'élimination de deux chefs terroristes d'Aqmi et d'Ansar ed-Dine par les forces spéciales françaises au sol.

«Problèmes éthiques»

Car, pour l'heure, la doctrine française bannit toujours l'utilisation de drones tueurs pilotés depuis le sol comme le Predator américain : «Tuer quelqu'un à 3 000 kilomètres pose des problèmes éthiques», expliquait récemment à Libération le général Michel Asencio, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique. Selon un décompte établi par le Bureau of Investigative Journalism, les drones de l'armée américaine et de la CIA ont déjà tué près de 4 000 personnes au Pakistan et près de 500 au Yemen, dont de très nombreux civils victimes collatérales.

Voir ici ce reportage de France 2 où un pilote raconte comment il a tué des gens en maniant son joystick depuis sa base du Nouveau-Mexique :

Cela ne devrait pas s'arranger avec les opérations en cours en Irak et en Syrie contre la menace de l'Etat islamique. Pour l'heure, la France semble encore en ligne avec le Conseil de l'Europe qui s'oppose aux «exécutions ciblées» menées par les drones. Mais pour combien de temps ? Le ministère de la Défense aurait discrètement étudié la question d'armer les drones «Reaper» déployés au Niger si d'aventure il y avait feu vert de l'Elysée.