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C'est quoi une économie de gauche (7/7)

Karine Berger : «On ne peut pas passer notre temps à donner raison au Medef»

C'est quoi une économie de gauche?dossier
L’économie de marché est un fait admis par le PS depuis longtemps, mais l’Etat doit jouer son rôle pour protéger les plus faibles.
Karine Berger, en février, à l'Assemblée. (Charles Platiau. Reuters)
publié le 15 juin 2015 à 21h06

L’économie de marché est un fait admis par le PS depuis longtemps, mais l’Etat doit jouer son rôle pour protéger les plus faibles. Certes, les traités européens entraînent cette libéralisation, mais le cœur de la politique de régulation demeure dans les mains des gouvernements nationaux ! Entretien avec la députée PS Karine Berger.

La loi Macron doit être adoptée définitivement ce mardi par l’Assemblée nationale : pourquoi sommes-nous en pleine confusion ?

Le débat se focalise sur libéralisme et antilibéralisme. La gauche, en défendant la régulation et la protection, s’oppose au libéralisme économique. C’est vrai historiquement, et particulièrement dans la période récente, alors que la pression libérale est beaucoup plus forte que par le passé en France. La confusion naît du fait que quelques décisions - pas la majorité - prises récemment vont dans le sens du libéralisme économique : quand on accepte la défiscalisation des grands événements sportifs pour obtenir l’organisation de l’Euro 2016 de football, on adopte une logique libérale qui veut que toute forme de fiscalisation, et donc de régulation, s’oppose à l’activité économique. Ou quand, au sein de la loi Macron, un article réduit massivement les impôts sur les actions gratuites et que le ministre précise que c’est pour les dirigeants de grands groupes.

Ça n’est pas nouveau ?

Il y a eu un premier brouillage avec la construction européenne, c’était entre 1986 et 1991. Les traités européens entraînaient cette libéralisation. Mais le cœur de la politique de régulation demeure dans les mains des gouvernements nationaux. En 1998, quand Dominique Strauss-Kahn interdit le rachat d’Orangina par Pepsi-Cola, il fait de la régulation de gauche. L’apparition des idées libérales, c’est-à-dire le renoncement des impératifs de régulation et de protection, credo du groupe de Gérard Collomb et Jean-Marie Le Guen, est une nouveauté au sein du PS. L’Europe est invoquée pour expliquer la dérive libérale. Le PS y serait amené ou contraint parce qu’il est au pouvoir. Mais Bruxelles n’a jamais demandé de réduire les impôts sur les événements sportifs internationaux ou sur les actions gratuites. Ça n’a rien à voir avec les règles européennes.

Peut-on être de gauche et admettre la logique du marché ?

Le PS a mis dans sa charte qu’il reconnaît l’économie de marché. Mais personne ne dit que le marché est pur et parfait. La frontière entre le libéralisme et la gauche est tout entière là. Le libéralisme refuse idéologiquement l’intervention de l’Etat sur les marchés. La gauche défend l’idée que les marchés ne peuvent fonctionner que par l’intervention de l’Etat, car la jungle, sans règles, finit par s’autodétruire, comme on l’a vu en 2008. Keynes ne disait pas autre chose, à savoir que l’intervention de la puissance publique est nécessaire quand précisément le marché ne fonctionne plus.

Que faut-il faire pour revenir à une politique économique de gauche ?

Remettre la régulation au cœur de nos décisions. Cela signifie, entre autres, rétablir un dialogue social équilibré. On ne peut pas passer notre temps à donner raison au Medef. L’Etat doit intervenir pour ne pas laisser le plus fort l’emporter, par exemple en protégeant les droits liés à la propriété industrielle des PME. C’est de la régulation moderne. Même les plus libéraux des économistes admettent que le marché ne se résume pas à la loi du plus fort. La mondialisation ne nous condamne pas à l’inaction. Entre la fermeture des frontières de la France que propose le Front national, qui est une absurdité économique, et ne rien faire, subir tous les diktats libéraux, il y a beaucoup de place. Il y a le socialisme.

Concrètement ça se traduit comment ?

Refondre le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), dont le principe est libéral : face à la concurrence, la baisse du prix du travail est plus importante que la nécessité de financer la Sécurité sociale. Nous proposons à la Fabrique [la Fabrique socialiste, motion D, qui vise à construire un nouveau Parti socialiste, exemplaire, paritaire et renouvelé, ndlr] de cibler les aides du CICE sur les entreprises qui sont véritablement menacées par la violence de la mondialisation, c'est-à-dire les PME et les ETI [entreprises de taille intermédiaire]. Et aussi lutter contre la déflation. L'histoire bégaye, car c'est cette question de la déflation qui a opposé les keynésiens et les libéraux. Keynes dit que pour sortir d'une nasse déflationniste, la puissance publique doit intervenir via des investissements publics, une politique monétaire interventionniste, une régulation de la finance. Et n'en déplaise à ceux qui conspuent Keynes, y compris dans nos rangs, ni lui ni Roosevelt ne parlent de relance de la consommation. La collectivité se doit d'intervenir pour rétablir un fonctionnement correct des marchés qui sont en train de s'asphyxier. C'est le moment de reprendre la main pour les Etats, en arrêtant de réduire les dotations aux collectivités locales ou en obligeant rapidement le plan Juncker à faire porter les premières tranches de risque des investissements d'infrastructure sur le public et non sur le privé.

Et sortir de la règle d’or ?

Mais si nous entrons en déflation, nous n’atteindrons jamais les 3 % de PIB de déficit public !

La politique de l’offre, c’est de droite et celle de la demande, de gauche ?

C’est faux. L’Etat mène à la fois une politique de l’offre et une politique de la demande. A vrai dire, opposer l’offre à la demande n’a aucun sens. En revanche, opposer le libéralisme et l’Etat a beaucoup de sens. L’Etat n’intervient pas contre les marchés, il intervient pour sauver, sauvegarder le bon fonctionnement des marchés contre la déstabilisation que constitue le libéralisme.

La grande réforme fiscale verra-t-elle le jour ?

Le débat sur le prélèvement à la source cache une question de justice fiscale importante : veut-on poursuivre avec un impôt conjugalisé, qui additionne les revenus des membres du foyer, ou pas ? En France, la fiscalité redistributive se fonde sur le foyer fiscal. C’est la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel. Qui dit progressivité de l’impôt dit impossibilité d’individualiser. La CSG est individuelle, le salaire est individuel, mais l’impôt sur le revenu s’appuie sur le foyer. Le big-bang fiscal passe par une individualisation de la charge fiscale ou alors revient à englober dans l’impôt sur le revenu par foyer tous les impôts personnels.

Le Front national propose des mesures que la gauche pourrait avancer…

Parler d’une politique de gauche en évoquant le FN est inacceptable. Ils proposent de fermer les frontières aux marchandises et aux hommes ! Et de faire le tri entre les Français et les étrangers. C’est le contraire de la gauche, celle qui protège chaque individu et l’aide à s’émanciper.