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Libération
Enquête

Drones, la panoplie des antivols

Labos et start-up travaillent à des technologies capables de détecter et neutraliser les engins volants intrusifs.
Chambre anéchoïque (Babi base bistatique) "ONERA", à Palaiseau (Essonne), le 10 juin 2015. (Photo Rémy Artiges)
publié le 21 juin 2015 à 19h06

Si les drones civils sont devenus des stars, il n’est plus seulement question de leurs prouesses… mais de les arrêter dans leurs prouesses. Industriels, labos et start-up redoublaient d’annonces au salon de l’aéronautique du Bourget la semaine dernière pour étaler leur savoir-faire dans la lutte antidrones. Les moyens de détection et de neutralisation de ces engins petits, rapides et furtifs, manquent. Les survols de plusieurs sites sensibles cet hiver - l’Elysée, la base militaire de l’Ile-Longue (Finistère), plusieurs centrales nucléaires - ont confirmé l’impuissance des pouvoirs publics dans ce domaine. Depuis l’automne, au moins soixante-huit «incidents» ont été recensés. Dans la majorité des cas, les engins n’ont pu être interceptés ni leurs pilotes identifiés.

L'absence de contre-mesures efficaces irrite évidemment les forces de l'ordre : fin mai, lors d'un colloque sur le sujet, le général de gendarmerie Eric Darras évoquait «une atteinte à la crédibilité des pouvoirs publics». «Il y a aujourd'hui un vrai besoin de pouvoir repérer, identifier voire neutraliser ces engins», selon un spécialiste. Ils sont donc nombreux à vouloir se positionner sur ce marché. Sauf qu'à l'heure actuelle aucune solution antidrone ne tient vraiment la route. Tour d'horizon des parades envisagées.

Caméras et radars : des yeux pour le voir

Repérer des mini-drones à plus de 5 km ? C'est possible ! assurent DSNA Services, Aveillant et JCPX. Ces sociétés spécialisées dans la protection de sites sensibles se sont associées pour concevoir d'ici à fin 2015 un système pouvant «détecter, identifier et traquer», à partir d'un bâtiment ou d'un véhicule mobile, tout drone soupçonné de survol illicite. Le hic, c'est que la technologie radar développée par Aveillant ne peut détecter que les drones à hélice, et pas ceux à voilure fixe. Celle en cours de tests à l'Onera, le centre français de recherche aérospatiale qui coordonne le programme «Angelas» (soutenu par l'Agence nationale de la recherche et auxquels participent Thalès et le CEA), devrait le permettre. «Mais pas au-delà de quelques kilomètres, sinon on capte trop de signaux», souligne Dominique Poullin, du département électromagnétisme et radar de l'Onera, en nous faisant visiter la chambre anéchoïque (censée bloquer la propagation des ondes) où sont menées les expériences.

Deux types de systèmes radars sont envisagés par les acteurs d'Angelas. Le premier est «actif» : une onde est émise en permanence dans toutes les directions et ses réflexions sur des objets inconnus sont analysées. Le second, à détection passive, exploiterait les ondes déjà présentes autour de nous. «Ces technologies permettent, au mieux, de distinguer un drone d'un oiseau», concède Poullin. Pas de déterminer son modèle ni ses caractéristiques. D'où l'idée d'utiliser aussi des caméras.

Lundi dernier, la start-up Cerbair annonçait «DroneWatch», d'après elle «la première solution efficace et accessible pour la détection de drones de petite taille». Elle se fonde sur des caméras HD pouvant repérer un intrus en 3D et donner l'alerte en transmettant sa position. Mais elle ne balaye qu'un champ de 110°… La caméra infrarouge HD de la société HGH, elle, peut surveiller une zone à 360° jour et nuit. Toute seule. «L'infrarouge est le chaînon manquant entre la caméra et le radar. C'est un système performant pour la détection de menaces de petite taille et à faibles signatures radar», estime Denis Chaumartin, directeur du département Marine chez CS, l'industriel menant le deuxième projet de recherche antidrone financé par l'ANR, «Boréades».

Et pourquoi pas des lasers, tant qu'on y est ? L'Onera, qui se targue d'un certain savoir-faire, y songe sérieusement. En balayant une zone avec un faisceau, il serait possible de reconstituer un drone intrus en 3D - par réflexion des photons sur celui-ci. «Quelle que soit la météo, le laser évalue sa trajectoire et voit s'il porte une charge. Et ce à plus d'un kilomètre de distance», assure Franck Lefèvre, directeur du département optronique (qui associe optique et électronique).

L’acoustique pour l’entendre

L'œil seul ne suffit pas. L'Onera veut ajouter l'ouïe. «Pour nous c'est le radar, l'optronique et l'acoustique. Nous pensons que notre solution sera une combinaison des trois», détaille Franck Lefèvre. CS et Byblos Group, acteur français spécialisé dans la sécurité qui conduit le troisième programme de recherche ANR («Spid»), ont la même approche. «Ces moyens sont complémentaires. Si l'un d'eux fait défaut, on pourra quand même accéder à l'information», souligne Denis Chaumartin. «Le système acoustique est intéressant pour donner l'alerte, même si sa précision est plus faible», glisse Franck Lefèvre.

Dans ce scénario, le drone intrus serait repéré au bruit émis par ses moteurs. Un mode déjà utilisé par la start-up américaine DroneShield lors du dernier marathon de Boston, jugé à risque depuis l'attentat de 2013. «Tout s'est bien passé, excepté qu'il n'y avait aucun drone», raconte Brian Hearing, fondateur de DroneShield. Mais l'acoustique a ses limites, surtout dans les villes saturées de bruits. Comme le radar, cette technologie ne permet pas de distinguer les drones entre eux.

Hacker les commandes

Le drone identifié, il faut ensuite le neutraliser. Là encore, peu de solutions satisfaisantes existent. Pour l'Onera, CS ou Byblos, pas question de le dégommer en vol : la chute d'un appareil de quelques kilos peut causer des dégâts. Brouiller ses fréquences de communication pour le forcer à atterrir ? L'Onera et CS y songent. La technique permettrait de remonter jusqu'au pilote en suivant son engin. Mais le sujet reste sensible. Surtout lorsqu'il s'agit de «leurrer le GPS» pour prendre le contrôle de la trajectoire du drone, comme le prévoit CS, qui refuse d'ailleurs de détailler sa technologie. Celle-ci sera développée par Spectracom, une PME de l'Essonne.

La Direction générale de l'armement s'intéresse elle aussi à ces technologies, pour lutter tant contre les drones que les missiles autoguidés. Selon la lettre spécialisée Intelligence Online, l'une de celle en cours de développement pourrait même perturber le fonctionnement des GPS militaires, pourtant cryptés… L'Onera envisage aussi de prendre le contrôle à distance des drones et peaufine sa technologie de goniométrie, un réseau de capteurs légèrement décalés qui retrouverait la source d'un signal, donc la position de l'intrus. «Chaque télécommande a une signature assez caractéristique possible à isoler» , dit Franck Lefèvre. Le consortium «Spid» espère lui utiliser cette technique «pour détourner les drones standards en prenant le contrôle de ceux-ci et en les récupérant», selon un communiqué.

Le chasser au filet

Des alternatives existent. Comme le drone antidrone conçu par le groupe Assmann. «Il peut décoller automatiquement après une alerte et déployer un filet pour capturer l'intrus», vante son PDG, Philippe Dubus. Problème : lorsque l'«ennemi» est trop gros, le risque existe que le filet le déstabilise et le fasse tomber. Ce qui complique l'utilisation en ville de ce drone prédateur. «Mais si le périmètre du site à surveiller est bien défini, il suffit juste d'alerter le personnel. Notre drone sait où il est», rétorque Dubus. Son «MPI200» pourrait aussi suivre l'intrus pour repérer le pilote et le filmer. «Sa présence même est dissuasive.» D'ici à ce que les systèmes antidrones se répandent, il faudra aussi penser à «affiner» la réglementation. «Sur l'aspect surveillance il y a des risques d'atteintes à la vie privée avec la captation de données personnelles et le droit à l'image. Le brouillage des données GPS sur une large zone peut aussi poser problème», prévient Morgane Ruellan, chercheuse à l'Institut de criminologie de Paris. L'enjeu sera aussi de dissuader les pilotes mal intentionnés sans clouer au sol ceux qui ne songent qu'à s'amuser.