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Libération
Droit de suite

Le match taxis-UberPop dégénère à Lyon

Après l’agression par des taxis lyonnais d’un client qui voulait faire appel à un chauffeur affilié à Uber, la tension monte d’un cran. Les UberPop témoignent de conditions de travail de plus en plus périlleuses.
par Maïté Darnault, Correspondante à Lyon
publié le 23 juin 2015 à 20h36

Le nez et la mâchoire cassés, la pommette enfoncée et vingt et un jours d'incapacité totale de travail : ce n'est certainement pas comme ça qu'Alexandre, un Lyonnais de 27 ans, s'attendait à finir sa soirée, samedi dernier. Admis dans la nuit aux urgences pour de multiples fractures et contusions, il est toujours hospitalisé. Son «méfait» : avoir annoncé à un chauffeur de taxi, qui venait de lui refuser la course en se disant «en grève», qu'il allait faire appel à un véhicule UberPop. Le taxi, rejoint par des collègues, aurait alors passé le jeune homme à tabac.

Un autre épisode, rapporté par le Progrès, a marqué le week-end passé : le piège tendu par des taxis à des conducteurs UberPop, boulevard Vivier-Merle. «Des collègues ont commandé trois voitures et leur ont donné rendez-vous devant le Novotel», a expliqué Pascal Wilder, secrétaire général de la Fédération nationale des taxis indépendants, basée à Lyon. A leur arrivée, les chauffeurs UberPop ont été coincés par une cinquantaine de taxis, qui avaient prévenu la police. Leur objectif : le flagrant délit. Car depuis le 15 juin, un arrêté préfectoral interdit, dans le département du Rhône, «l'activité de transport de personnes de type UberPop». Une décision motivée par les «risques de trouble à l'ordre public suite à des incidents constatés entre chauffeurs de taxi et particuliers adhérents de l'application» et par l'absence de garantie quant à «la qualification, à la formation et aux conditions d'assurance des conducteurs», potentiellement préjudiciable à «la sécurité des personnes transportées». Si cet arrêté préfectoral permet de poursuivre les chauffeurs pris sur le fait pour travail dissimulé, il ne comble pas pour autant le vide juridique qui persiste au sujet d'UberPop. Du coup, à Lyon, chaque camp fourbit ses armes.

Depuis le lancement de l'appli dans la ville en avril 2014, la préfecture a recensé 34 interpellations en flagrant délit. Les syndicats de taxi comme les adhérents UberPop estiment à 300 le nombre de chauffeurs occasionnels et réguliers. Le recours aux guets-apens des «clandestins» d'UberPop avait été annoncé par certains taxis, au motif que «tout citoyen a le droit d'interrompre un délit», selon Pascal Wilder.

Pour 300 euros par semaine

Côté chauffeurs UberPop, ils sont de plus en plus nombreux «à prendre leurs précautions» pour ne pas se faire repérer, explique Vincent, 26 ans : «Evidemment, il ne faut pas se mettre sur une borne de taxi quand on récupère les utilisateurs. En plein centre-ville, on leur demande de monter devant. Et puis on n'accroche plus le téléphone avec l'appli affichée sur le tableau de bord. Quand un taxi passe à proximité, je range mon portable, hop, voilà», dit-il avec un signe de tête en direction du véhicule voisin au feu rouge, signal et voyant allumés sur le toit.

Utilisateur à Paris, Vincent est devenu chauffeur à Lyon. Jusque-là, c'était pour lui un complément de salaire. «Mais je viens de quitter mon travail et je ne touche pas encore le chômage. Sans ça, je ne sais pas comment je ferais.» Les bons jours, il peut gagner jusqu'à 70 euros. Pour l'instant, sa rémunération tourne autour de 300 euros la semaine. Il n'a «pas encore» le statut d'auto-entrepreneur. «Je le prendrai si ça ne devient pas trop la guérilla.» Vincent évoque une «règle tacite» qu'auraient établie les taxis lyonnais, une «vraie mafia», dit-il : pas de course à moins de 6 euros. «Mes clients, ce sont beaucoup d'étudiants, des jeunes, de 18 à 35 ans, qui ne prenaient pas le taxi avant. Alors, une course à 4 euros, pour eux, c'est merveilleux.» Selon lui, les violences sont surtout le fait des taxis récents dans la profession : «La journée, ça reste calme, ce sont surtout les anciens qui circulent. Les plus énervés travaillent la nuit.» Pour éviter les possibles traquenards, il reste en contact permanent avec «quelques amis» qui roulent aussi pour UberPop : «On se tient au courant dès que l'un a un souci.»

Création d’un collectif pro-UberPop

Pouvoir compter sur la «communauté» : c'est l'idée qu'ont eue deux étudiants, chauffeurs d'UberPop à Lyon depuis mars «pour arrondir les fins de mois», lorsqu'ils ont lancé, le 18 juin, la page Facebook «Pour qu'Uber continue à Lyon». Depuis, elle a été consultée plus de 153 000 fois et «likée» par 7 300 personnes. Ce mardi matin, ils ont créé un collectif, le «Cousin Hub», afin de recenser les mésaventures des UberPop et partager les astuces. «Si la personne est nouvelle sur l'appli et donne rendez-vous dans un lieu très fréquenté par les taxis, comme Bellecour, Opéra ou Hôtel de Ville, on refuse, explique l'un des fondateurs de Cousin Hub. Les habitués savent qu'on préfère charger dans les petites rues.»

Au-delà du buzz sur les réseaux sociaux, ces étudiants insistent sur la nécessité d'une mutation de «ce vieux système économique qui n'a plus de sens», d'une «libéralisation de l'Etat» en faveur des «modes de transport collaboratifs». Ils voudraient doter UberPop d'un «cadre juridique et fiscal cohérent avec la loi française». Pour enfin circuler dans les clous.