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Décryptage

Voiture électrique, la montée en charge

Encore timide, le marché frémit. Cinq bonnes raisons de s’y mettre.
Des petits constructeurs occupent ce secteur de niche. C’est le cas de Welter Racing, avec son quadricycle  : le Firefly sera dans la caravane du Tour de France, une première pour un véhicule électrique. (Photo DR)
publié le 23 juin 2015 à 20h06

Et si c'était la bonne ? Depuis des années qu'on nous annonce l'avènement du transport électrique, plus personne n'écoutait. Qui se rappelle qu'en 1992, l'Etat promettait 100 000 voitures électriques sur les routes françaises pour l'an 2000 ? Qui se souvient, en 2009, de l'ambitieux plan de relance national «pour le développement des véhicules hybrides rechargeables et électriques», qui tablait sur 2 millions de modèles pour 2020 ? Qui a en mémoire la prédiction de Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, en 2011, imaginant vendre 1,5 million de modèles électriques en 2016 ? Rappel des chiffres : le parc français compte environ 50 000 véhicules électriques, soit moins de 1 % du total.

Et pourtant, ça frémit. «Le marché explose depuis 2010», assure l'Avere, l'Association de promotion de la mobilité électrique. Les immatriculations neuves ont doublé chaque année jusqu'en 2013 - elles n'ont augmenté que de 60% en 2014 après un cafouillage sur l'application du bonus de 6 500 euros. L'explosion reste très modeste : 7 200 véhicules ont été vendus depuis janvier. Mais «cette fois-ci, on est sur un développement qui va durer», professe Joseph Beretta, président de l'Avere.

La mise en place du superbonus de 10 000 euros en avril devrait doper le marché. «D'après les premiers retours, les dernières ventes sont très bonnes», assure Marie Castelli, secrétaire générale de l'Avere. Et alors que le marché était jusque-là porté par la demande des entreprises et des collectivités, un acheteur sur deux est un particulier en ce début 2015. Enfin, autre signe qui ne trompe pas : les constructeurs se placent sur le segment. «En 2010, il y avait trois ou quatre modèles ; il y en a dix-huit aujourd'hui», assure Joseph Beretta.

Côté libre-service, Bolloré impose en 2012 son modèle économique : 225 000 personnes se sont abonnées depuis au moins une fois à Autolib. Et de nombreux services d’autopartage équipés de voitures, de quadricycles ou de scooters électriques essaiment dans les villes. Le phénomène va-t-il durer ? Réponse en cinq points.

Des gains au kilomètre

Regardez la pub télé pour la Zoé de Renault et cherchez le prix de vente. Il n’est pas indiqué. En revanche, la marque met en avant une location longue durée à partir de 99 euros par mois et sans apport - à condition de rouler peu et de bénéficier des aides de l’Etat. Normal, c’est le seul moyen de faire passer la pilule.

Constructeurs et promoteurs de la mobilité électrique martèlent en chœur ce même message : conduire en voiture électrique ne coûte désormais pas plus cher à condition de regarder le coût d’usage (le coût sur plusieurs années) et non pas le prix d’achat avant bonus, rédhibitoire. C’est 25 000 euros pour la Nissan Leaf, 35 000 euros pour la BMW i3, 74 000 euros pour la Model S de Tesla. En tenant compte des aides de l’Etat (6 300 euros de réduction, 10 000 euros si vous rendez votre diesel de plus de quatorze ans), la donne est différente. Sachant que les assurances sont moins chères, que le prix de la carte grise est raboté selon les régions, que les frais d’entretien sont réduits et qu’il en coûte 2 euros pour faire 100 km (contre 6 à 9 euros pour une citadine essence), l’équation devient plus intéressante.

L'i3 de BMW. (Photo DR)

A condition de rouler : c'est sur les économies de pleins que l'usager d'une électrique fera la culbute. Le site Breezcar a comparé le coût d'usage d'une Zoé et d'une Clio. Au bout de cinq ans, la première «permet en moyenne d'économiser près de 2 800 euros par rapport à son équivalent thermique». L'Automobile Club, qui dresse chaque année le budget automobile moyen, ne s'aventure pas pour l'instant à évaluer celui des véhicules électriques.

Victoire aux mille bornes

Autre cliché combattu par les tenants de l'électrique : l'autonomie. Elle est faible, c'est certain : entre 70 et 150 km en moyenne, et à condition de se restreindre sur le chauffage. Là où les grosses berlines diesel dépassent facilement les 1 000 km pour un plein. Mais l'idée reçue est de croire que nous avons besoin d'une grande autonomie. Plus de 70 % des automobilistes attendent d'une voiture qu'elle ait au moins 800 km d'autonomie pour être attractive, selon un sondage européen réalisé pour le site AutoScout24. Or, la réalité est toute différente, puisque 80 % des Français parcourent moins de 100 km par jour, la moyenne quotidienne étant de 31 km.

Bien qu’un ménage sur cinq ait la possibilité de recharger une voiture électrique chez lui (un sur deux en zone rurale et périurbaine), c’est visiblement le déploiement massif de bornes de recharge qui pourra lever ce frein psychologique. Après un démarrage poussif, on compte aujourd’hui environ 9 200 points de recharge publique. En 2009, la ministre Chantal Jouanno visait un taux d’équipement de 4 millions de bornes en 2020… Plus réaliste, Bercy mise désormais sur 20 000 points de charge pour la fin 2016, que ce soit sur la voirie, dans les gares, dans les parkings de centres commerciaux, chez les concessionnaires… Reste qu’il s’agit, pour l’essentiel, de bornes de recharge lente ou semi-lente, nécessitant une immobilisation de plusieurs heures pour une recharge complète. Un plan d’installation de 200 bornes à charge rapide sur les autoroutes lancé en juin devrait être terminé à la fin 2015. Elles rechargent 80% d’une batterie en moins de trente minutes.

Bon pour le libre-service

Ils sont 9,1% des Français à s’imaginer très bien, dans vingt-cinq ans, vivre sans être propriétaires de leur voiture, se contentant des transports en commun, du covoiturage et de l’autopartage. Un taux en hausse, à en croire le cabinet de conseil GFK, qui produit une enquête annuelle sur notre perception du véhicule du futur. Et en matière de mobilité, elle change. En 2013, selon le même sondeur, seulement 5,4 % des Français envisageaient de ne pas posséder de voiture.

C'est peut-être cette bascule - assez lente - de la propriété à l'usage qui ancrera la pratique de l'électromobilité dans les mentalités. Car, dans la foulée de Bolloré et de ses 3 280 Autolib en libre-service en Ile-de-France, de nombreux services d'autopartage proposent des véhicules électriques. Et pour cause : «Dans le libre-service, c'est plus facile à gérer, explique David Lainé, patron de Wattmobile. On n'a pas à gérer les pleins d'essence, les consommables, la maintenance est réduite à pratiquement zéro.»

La Zoe est la voiture électrique la plus vendue en France. (Photo DR)

Du coup, monter une station est (presque) un jeu d’enfant. Un câble, une borne, et voilà la station. La jeune start-up française, en partenariat avec la SNCF, installe ses stations d’autopartage dans les gares depuis la fin 2014. Dernière en date : celle de la station Montparnasse, inaugurée le 10 juin. Wattmobile vise les 20 gares à la fin de l’année, avant d’attaquer le secteur des parkings d’hôtel et des centres d’affaires. Son créneau : les particuliers en déplacement professionnel qui ont besoin d’un petit véhicule urbain pour la journée. La réservation et le paiement se font sur smartphone, le déverrouillage s’effectue à l’aide d’un badge.

La joie de la conduite

A croire que l’auto électrique dégage de bonnes sensations. La satisfaction des automobilistes est régulièrement mesurée par les constructeurs. Alors que son taux, assure-t-on chez Renault, s’établit en moyenne à 60 % pour un véhicule thermique, il monte à 98 % pour la Zoé et à 95 % pour la Kangoo ZE. Plus de 82 % des propriétaires de voitures électriques ont l’intention de racheter un modèle identique et de la même marque, selon une étude de 2012 du cabinet J.D. Power. Alors qu’on tombe à moins de 50 % pour les propriétaires d’autres voitures.

Plus surprenant : un sondage pour le magazine Consumer Reports, en 2014, place la Model S de Tesla en tête des taux de satisfaction aux Etats-Unis, devant les Porsche Boxster et Cayman, Corvette, Dodge Challenger et autres sportives luxueuses. Autre signe : Nissan a sondé les propriétaires de la Leaf, qui roulent en moyenne 16 000 km par an. Alors que pour un modèle thermique équivalent, la moyenne annuelle descend à 12 000 km.

A la Poste, qui a lancé un vaste programme d'équipement électrique en 2012, la cote d'amour est au plus haut. «Les facteurs qui l'utilisent ne peuvent plus s'en passer, témoigne Frédéric Delaval, directeur technique. Quand nous amenons le véhicule électrique en révision, ils ne veulent pas le voir substituer par un thermique.» L'entreprise, qui possède la plus importante flotte au monde (plus de 4 000 véhicules), réalise 40 % de ses tournées avec ce nouveau mode de transport. Les premières études internes montrent dans certains cas une baisse du nombre d'arrêts-maladie pour troubles musculo-squelettiques chez les facteurs roulant à l'électrique.

 Un Etat passager

Tout est fait pour faciliter son essor. Dès l'achat avec, depuis le 1er avril, la mise en place d'un superbonus de 10 000 euros pour l'acquisition d'un véhicule électrique en échange d'un diesel de plus de quatorze ans. Auquel il faut ajouter de petits avantages : une aide supplémentaire accordée par certaines régions, des tarifs préférentiels sur les autoroutes prévus par le projet de loi de transition énergétique ou encore le stationnement gratuit dans de nombreuses communes comme Paris, Istres, Boulogne-sur-Mer, Aix-en-Provence, Colmar, Bordeaux… ou Saint-Tropez. Autre mesure, dissuasive celle-là : le ministère de l'Ecologie a confirmé début juin la mise en place de pastilles de couleur destinées à classer les véhicules selon leur degré de pollution. Macaron gris pour les guimbardes datant d'avant 1996, macaron vert pour les voitures essence les plus récentes. Et, au-dessus du lot, la pastille bleue pour les véhicules électriques et les hybrides rechargeables. Or, les communes pourront bientôt mettre en place des zones de circulation restreinte en centre-ville. Les véhicules avec cette dernière pastille seront les seuls à pouvoir rouler partout.

Le projet de loi donne également un sacré coup de pouce aux transports en commun écolos. L’Etat et les collectivités territoriales qui exploitent ou délèguent l’exploitation d’un parc de plus de 20 bus devront mettre au propre (électrique ou hybride) la moitié de leur flotte d’ici 2020, à l’occasion de chaque nouvelle acquisition. En 2025, 100 % des achats devront être des véhicules à faible émission. Les entreprises auront elles aussi l’obligation de verdir leur flotte.