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Libération

Les licenciements abusifs ne font pas une politique de l’emploi

Un amendement de dernière minute à la loi Macron instaure un plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif.
publié le 29 juin 2015 à 18h36

La question du niveau de protection légale de l’emploi est posée de façon insistante par ceux qui prétendent que cette protection constitue un frein à l’embauche et donc une cause du chômage.

Un retour en arrière révèle, à ce sujet, l’existence d’un affrontement très classique entre salariés et employeurs. Les premiers recherchent une augmentation du niveau de protection afin de limiter le pouvoir de licencier du patron, qui constitue une arme contre les salariés qui auraient des velléités revendicatrices. La protection légale de l’emploi n’a pu progresser que dans les phases historiques où les salariés, les organisations syndicales et les forces de gauche étaient suffisamment puissants pour imposer un changement institutionnel vers plus de protection à des forces patronales qui se sont partout et toujours distinguées par leur opposition radicale à une telle évolution.

En Europe, la première législation protectrice de l’emploi est apparue en Allemagne en 1920, à la suite de la révolution ratée et dans un contexte de conflit social intense. Mais, pour la plupart des autres pays européens, deux périodes spécifiques ont amélioré la protection de l’emploi : l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale et la fin des années 60 et début des années 70. La première période correspond à une perte de légitimité du patronat et des partis de droite, notamment dans les pays ayant subi l’occupation nazie et vu la collaboration de certains acteurs économiques et politiques avec l’occupant. Avec les impératifs de reconstruction et de réinsertion des prisonniers et anciens combattants, cela a conduit à encadrer temporairement les licenciements.

Même modestes, les avancées de la législation dans l’après-guerre - en France, les ordonnances de 1945 reconnaissent les comités d’entreprise - ont constitué un progrès pour la plupart des pays. Ces avancées n’ont été possibles que parce que certaines forces politiques les ont appuyées. Dans les pays où les forces politiques de gauche n’étaient pas suffisamment puissantes, le patronat est parvenu à faire échouer les tentatives des syndicats de négocier avec lui un niveau de protection de l’emploi plus élevé.

La deuxième grande période de progrès de la protection légale de l’emploi en Europe a été celle où le fond de l’air était rouge. Cette période était aussi caractérisée par la hausse du chômage consécutive à la crise économique et la montée des préoccupations relatives à l’emploi. En France, les avancées significatives dans la protection légale de l’emploi ont découlé des conflits sociaux des années 60 et 70. La loi de 1973 a spécifié qu’un licenciement doit avoir une cause «réelle et sérieuse». La charge de la preuve n’incombe pas à l’employeur mais est laissée à l’appréciation de la justice du travail. La loi de 1975 a réglementé les licenciements collectifs.

La question de la cause réelle et sérieuse du licenciement, c’est-à-dire de la protection contre l’arbitraire patronal, est revenue au premier plan avec l’insertion de dernière minute d’un amendement à la loi croissance, activité et égalité des chances économiques, qui instaure le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif.

Sur l’impact de cet amendement sur le chômage, de nombreux commentateurs ont rappelé que (a) la cause principale du chômage n’est pas le niveau de protection légale de l’emploi mais plutôt la faible croissance et que (b) la loi va favoriser les licenciements abusifs et non pas l’ajustement des effectifs aux fluctuations de la conjoncture.

Mais au-delà de ces remarques de bon sens, on peut interpréter le recul que représente cet amendement à la loi Macron de la même manière que les avancées passées : en termes de rapports de force sociaux et politiques.

L’amendement s’inspire, en allant plus loin, du «Jobs Act» italien, qui avait conduit les syndicats à appeler à une grève générale très suivie bien que sans effet sur les plans de Renzi. En France, la réaction des syndicats est d’appeler à signer une pétition (1) !

Du côté politique, si la force relative des partis de gauche expliquait les avancées de la protection légale de l’emploi en Europe, c’est bien leur faiblesse qui explique, en retour, les reculs contemporains. C’est un Parti socialiste devenu parti libéral pro-business qui facilite (en ayant besoin du 49.3 tout de même) les licenciements abusifs en leur fixant un prix limite.