Le ciel de cet été 2015 est dégagé pour la SNCF. Au regard des réservations au début du mois, la société table sur 24 millions de passagers d'ici fin août. Soit une augmentation de 6 % par rapport à l'été 2014. Pour le week-end prolongé du 14 juillet, la SNCF prévoyait près de 4 700 trains et 1,8 million de voyageurs en France, dont plus de 1,5 million au départ et à l'arrivée des gares parisiennes. «On sent un frémissement, plus d'appétit pour le départ», analyse Barbara Dalibard. La directrice générale de SNCF Voyageurs s'appuie sur un sondage qui indique que davantage de Français ont manifesté leur volonté de partir cet été. Ce qui pourrait en partie expliquer cette hausse.
Reste que ces prévisions tombent bien. Car l’activité voyageurs grandes lignes était plutôt morose ces dernières années. En 2013, pour la première fois, les TGV ont transporté moins de passagers que l’année précédente. Rebelote en 2014, avec des chiffres plombés par la grève de juin. Quant aux Intercités, ils ont perdu 20 % de voyageurs depuis 2011. La faute à des tarifs TGV trop élevés et au sous-investissement du réseau Intercités, assènent régulièrement les élus locaux et les associations d’usagers. La faute au covoiturage et aux compagnies aériennes low-cost, préfère Guillaume Pépy, président de la SNCF. Sans parler de l’arrivée prochaine des compagnies d’autocars longue distance autorisée par la loi Macron, qui capteront très vite une bonne part du gâteau grâce à des prix très compétitifs.
Face à ces nouveaux concurrents, il était urgent pour la SNCF de trouver la parade. Ce qu’elle tente de faire. Soit en élargissant la gamme low-cost : rafale de billets Prem’s et Ouigo supplémentaires pour cet été, ouverture du nouveau service TGV Pop, etc. Soit en étendant le domaine de la lutte : terminé le transport de gare en gare, la compagnie développe depuis plusieurs années le concept de porte-à-porte. La compagnie ferroviaire propose de vous prendre directement à votre domicile et de vous amener à votre destination. En taxi, en VTC, en Twizy (un petit véhicule électrique de Renault en autopartage), en scooter électrique, à bicyclette, avec presque tout ce qui se déplace. Pour cela, la SNCF multiplie les partenariats avec des sociétés de location de voitures (Zipcar), d’autopartage électrique (Wattmobile) ou de vélos en libre-service. Elle a injecté 28 millions d’euros dans Ouicar en avril, devenant l’actionnaire principal de la société de location de voitures entre particuliers. Elle a également lancé un service de covoiturage pour les courtes distances (iDVroom), créé une société d’autocars (iDBus) et propose des billets couplés train-avion pour amener les passagers de province vers les aéroports parisiens.
Puisque la SNCF peut difficilement lutter contre ces éclaireurs de l'ubérisation en marche (lire Libération du 26 juin), autant composer avec eux. Barbara Dalibard ne parle plus de concurrence, mais «de coopétition», mot-valise qui s'est répandu dans les années 90 et qui concilie la coopération et la compétition : «On est un jour concurrents, un jour complémentaires. On est dans un univers de ce type-là.» Si le covoiturage, par exemple, détourne la clientèle de la SNCF, «il peut aussi nous nourrir, en amenant un client à une gare», assure-t-elle. La responsable ne parle donc plus de transport en commun, mais de mobilité partagée où l'ennemi désigné devient le couple infernal et anti-écolo que constituent la voiture individuelle et son conducteur solitaire. Un discours offensif qui permettra peut-être, aussi, de justifier des prochaines suppressions de dessertes ferroviaires, au prétexte qu'il existe des offres alternatives. Encore faut-il que ces dernières soient faciles d'accès, que l'utilisation soit intuitive. Dans cette optique, la SNCF lance jeudi une nouvelle application, iDPass, qui regroupera à terme tous ses services. Réservation et paiement se font depuis le smartphone. Ce dernier, et la Carte voyageur SNCF associée, servent de clés numériques pour déverrouiller les véhicules loués.
L'entreprise publique ne donne pas encore de chiffres concernant ces nouveaux usages, notamment pour iDVroom, un service propre à la SNCF. Ce qui laisse à penser que la greffe met du temps à prendre. Mais Barbara Dalibard est confiante. Selon un sondage maison, «les gens qui prennent le train ont plus d'affinité avec l'économie de partage. Par exemple, 40 % des Français se disent prêts à covoiturer. Mais ils sont 66 % parmi notre clientèle. C'est une très bonne nouvelle pour nous.» Autre chiffre du sondage qui l'enchante : «Le train est le moyen de transport préféré, et de loin, des enfants. Et ce sont les clients de demain !» La future génération de voyageurs sera le nerf de la guerre… Pardon, de la «coopétition».
Autocar : 5 millions de voyageurs fin 2016
C’est une déferlante qui s’annonce. La loi Macron, adoptée le 10 juillet, libéralise le transport par autocar et autorise les liaisons interrégionales longue distance. Jusqu’à présent, les opérateurs ne pouvaient relier deux villes françaises que dans le cadre d’une ligne internationale. Ce verrou a sauté.
Dès que la loi sera promulguée, à la rentrée, des compagnies françaises et étrangères se jetteront sur ce juteux marché. Le gouvernement prédit 5 millions de passagers à la fin 2016, contre 110 000 par an actuellement. Il s’appuie sur l’exemple allemand. Le marché était fortement encadré jusqu’à début 2013, date de la libéralisation. Résultat : en 2014, 20 millions de passagers ont pris le car outre-Rhin.
En France, l'opérateur Transdev a lancé sa filiale Isilines à la fin du printemps et ouvert 17 lignes dès le 10 juillet - sous le régime du charter, un subterfuge «légal» qui permet d'attendre la promulgation : «On espérait un vote plus rapide de la loi Macron», avoue-t-on en interne. Depuis début juin, Isilines a enregistré 10 000 réservations. Avec des prix d'appel très agressifs : 5 euros pour un Paris-Toulouse ou un Lyon-Marseille. «Au début, les prix seront très bas, pour donner l'habitude du déplacement par autocar, dit Ingrid Mareschal, secrétaire générale de la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV). Mais après cette période, ils resteront bas, les opérateurs vont s'aligner sur les prix du covoiturage.»
Avion Low-Cost : 43,5 millions de billets en 2014
Le boom des vols low-cost, c'est l'autre raison avancée par le patron de la SNCF pour expliquer la baisse de fréquentation des trains. Ce mode de transport a explosé durant la dernière décennie. En 2014, les compagnies à bas coût ont embarqué 43,5 millions de passagers en France, contre 28 millions en 2010… «Le développement continu du trafic des compagnies à bas coûts explique toujours pour une grande part les bons résultats des aéroports français», écrit l'Union des aéroports français (UAF) dans son rapport annuel 2014.
Pourtant, la concurrence n'est pas vraiment frontale avec le rail. Certes, le low-cost domestique a augmenté, notamment dans deux principaux aéroports franciliens. Mais les destinations internationales et des aéroports de province en ont aussi profité. A Nice, le trafic passager a ainsi augmenté de 2 millions de personnes ces quatre dernières années, surtout grâce à l'international. Et sur la même période et le même aéroport, le trafic à bas coût a gagné 1,5 million de passagers. La situation est la même sur presque tous les aéroports français. Pour Philippe Aliotti, délégué général de l'UAF, le développement du low-cost a surtout permis à de nombreux Français de partir à l'étranger : «Ces compagnies offrent un panel de destinations plus important que ce que propose la SNCF. Si à prix égal, et parfois pour moins cher, je peux aller plus loin, j'irais plus loin.»
Covoiturage : 40 % de trajets en plus cet été
«C'est dans les voitures qu'il y a le plus de places pour voyager en France, pas dans les trains.» Laure Wagner, porte-parole de Blablacar, est sereine : le site de covoiturage prévoit 40 % de trajets en plus cet été. Un succès qui se confirme d'année en année. En 2011, le nombre d'utilisateurs en France a dépassé le million. Aujourd'hui, Blablacar compte 20 millions d'aficionados dans toute l'Europe. En 2007, un an après sa création, la start-up comptait 10 000 membres. C'est dire le chemin parcouru.
Si Blablacar séduit autant, c’est parce que ses prix sont bien plus bas que ceux d’un billet de train. Un trajet Paris-Lyon pour jeudi en Peugeot 5008 ne coûtait que 26 euros (plus 4 euros de frais de dossier) tandis que la SNCF affiche, en dernière minute, des premiers prix de seconde classe qui varient de 65 à 102 euros.
Les conducteurs s'y retrouvent aussi. Une étude de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) démontre qu'ils peuvent économiser jusqu'à 2 070 euros par an en proposant des covoiturages quotidiens sur un trajet domicile-travail. Le site a su fidéliser sa clientèle. Notamment avec le passage au pré-paiement en ligne en 2011. «Quand le site fonctionnait sur un échange en liquide entre les utilisateurs, on avait en moyenne 35 % de désistements et aucune garantie pour les conducteurs de recevoir la somme convenue. Aujourd'hui, les désistements sont quasi nuls», assure Laure Wagner.