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Libération
Décryptage

Pollution : des sénateurs chercheurs d’air

Selon un rapport sénatorial, le coût annuel de la pollution de l’air serait de 101,3 milliards d’euros. Les parlementaires dénoncent l’inaction de l’Etat et donnent des pistes pour remédier à ce fléau pour la santé publique.
L’air pur du périphérique parisien. (Photo Baptiste Fenouil. REA)
publié le 15 juillet 2015 à 19h46

Face au scandale de la pollution de l’air, l’Etat somnolait. Il vient de se réveiller, du moins dans les mots. Le coup de tonnerre qui l’a fait sursauter ? La publication mercredi d’un rapport sénatorial évaluant à 101,3 milliards d’euros le coût annuel de la pollution de l’air, soit deux fois plus que le tabac. Ahurissant.

Ce fléau «est une aberration sanitaire, économique et environnementale. Il est impératif que l'Etat s'engage», insiste la sénatrice écologiste Leila Aïchi, rapporteure de cette étude très fouillée. Intitulé Pollution de l'air : le coût de l'inaction, ce document de 300 pages met les pouvoirs publics face à leurs responsabilités. «Les médecins auditionnés ont déjà constaté une augmentation du nombre d'allergies. Ils nous ont aussi mis en garde : si on ne fait rien, un Français sur deux sera atteint d'une infection asthmatique en 2050», prévient Jean-François Husson, le président (Les Républicains) de la commission d'enquête sénatoriale.

Contrainte de réagir dans la foulée, la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, a promis qu'elle annoncerait «la semaine prochaine» des «mesures extrêmement fermes». Ajoutant, un peu tard : «Maintenant, plus personne n'a d'excuse pour ne pas agir.» «Chiche !» lui répond Leila Aïchi, interrogée par Libération. Le rapport sénatorial détaille 61 propositions en ce sens, votées à l'unanimité. Les solutions sont multiples, et les auteurs insistent sur la nécessité d'adopter enfin une approche globale du problème. Voici les principales pistes, et les plus urgentes. A charge pour l'Etat de se bouger enfin.

1/ Favoriser les carburants les moins polluants

Pour inciter à modifier les comportements, les sénateurs plaident en faveur d'«une véritable fiscalité écologique, sans accroître le poids des prélèvements». En clair, il s'agit de réorganiser la fiscalité, en allégeant la pression sur ce qui ne pollue pas ou peu - et en réduisant notamment le coût du travail -, tout en taxant davantage ce qui pollue. Ainsi, le rapport préconise la déduction de la TVA sur l'essence et l'électricité utilisées pour les véhicules hybrides et électriques des flottes d'entreprises et d'autopartage. A l'inverse, il faudrait «mettre à l'étude une taxe sur les émissions d'azote, de dioxyde d'azote et de particules fines». Ou encore engager des «négociations au niveau européen pour une fiscalité commune sur les transports routiers de marchandises».

Mais le rapport insiste surtout sur un point : l'Etat doit «aligner progressivement jusqu'en 2020 la fiscalité de l'essence et du diesel». Les faits sont accablants : les pouvoirs publics continuent de subventionner le diesel via une fiscalité préférentielle, alors même que celui-ci est responsable de l'apparition et de l'aggravation d'une liste de maladies longue comme un jour pollué (cancers du poumon ou de la vessie, maladies cardiovasculaires, malformations congénitales, problèmes de fertilité, maladie de Parkinson ou d'Alzheimer…). L'écart de taxation entre l'essence et le gazole reste aujourd'hui en France de 17 centimes par litre en faveur de ce dernier. Résultat : une énorme perte de recettes pour l'Etat (6,9 milliards d'euros en 2011, selon la Cour des comptes, sans parler des impacts sanitaires). Et une diésélisation encore massive du parc automobile français : plus de 60 % des véhicules en circulation et plus de 65 % des nouvelles immatriculations l'an dernier.

L'Etat va-t-il enfin sortir de son «ambiguïté persistante» sur l'avenir du diesel, illustrée dans le rapport par des extraits de discours totalement contradictoires de François Hollande, Manuel Valls ou encore Ségolène Royal ? Cela permettrait peut-être de financer une réorganisation des transports pour les rendre moins polluants. Notamment en créant «une filière de bus électriques française», en encourageant le fret ferroviaire (au lieu de le décourager comme aujourd'hui), ou encore en incitant «les opérateurs ferroviaires à réduire leur flotte diesel et à privilégier les moteurs électriques».

2/ Limiter les pollutions agricoles

L'agriculture est à la fois victime et responsable de la pollution atmosphérique. Le rapport souligne ainsi que la concentration de certains polluants dans l'air «affecte de manière durable et inquiétante les rendements agricoles, ainsi que la capacité des végétaux à stocker le CO2».Mais il insiste aussi sur le fait que ce secteur représente 53 % des émissions de poussières totales en suspension, 20 % des particules fines PM 10 et surtout 97 % des émissions d'ammoniac. Bigre !

Il faut donc agir là aussi. Las, «l'action» gouvernementale ne va pas jusqu'ici dans le bon sens, au contraire : le recours aux pesticides a augmenté de 5 % en moyenne entre 2009 et 2013, et de 9,2 % entre 2012 et 2013. Or, les études démontrant leur impact nocif sur la santé se multiplient. Mais on ne sait pas encore grand-chose de leur comportement dans l'air et de leur conséquence sur la qualité de celui-ci. Le rapport déplore que «le niveau d'information que les industriels s'estiment obligés de fournir n'est pas suffisamment contraignant» et demande à ce que cela change. Il propose notamment d'«étudier spécifiquement les causes de la surmortalité des agriculteurs et de mieux contrôler les dispersions de polluants». Parallèlement, il insiste pour que l'Etat «encourage les pratiques de cultures limitant les émissions de polluants».

3/ Informer les consommateurs

L'information des consommateurs semble être l'un des pivots de la lutte contre la pollution de l'air. Plusieurs mesures tendent donc à clarifier les effets d'un produit sur la qualité de l'air. Les sénateurs veulent rendre obligatoire «l'affichage des polluants de l'air autres que le CO2 pour la vente de véhicules neufs et d'occasion». D'ici trois ans, les étiquettes des produits d'entretien pourraient également mentionner leurs émissions de polluants volatiles. Barbecues, feux de cheminées et jardinage sont dans le viseur du Sénat, qui préconise une campagne de communication sur la pollution «liée aux activités récréatives». Face au manque d'information du public sur la qualité quotidienne de l'air, la commission veut créer une nouvelle carte de transport donnant accès à une «panoplie de transports faiblement émissifs». Autrement dit, un accès indifférencié aux vélos, voitures électriques et transports en commun.

4/ Muscler la recherche et la formation

La connaissance et la détection de la pollution de l'air sont pour le moins lacunaires, comme l'a rappelé la sénatrice Leila Aïchi : «Il y a une seule étude qui s'intéresse à l'impact de la qualité de l'air sur les récoltes. Seulement pour le blé et quelques céréales, cela représente un coût de 3 milliards d'euros.» Loin de cerner le phénomène, les études invoquées par le rapport sont un avant-goût de la découverte de ses effets. Pour l'heure, les travaux scientifiques se limitent à l'analyse d'une dizaine de substances, notamment l'ozone et les particules fines, mais ignorent encore une large part des agents polluants. Le rapport pointe ainsi «la faible proportion de polluants atmosphériques qui font l'objet d'une surveillance». En outre, les études ignorent encore la portée de «l'effet cocktail», moins sympathique que son nom le suggère, puisqu'il désigne le mélange nocif de produits polluants.

Le montant du coût sanitaire de la pollution de l'air (68 à 97 milliards d'euros) est donc évalué a minima par la commission. Cette dernière préconise par conséquent de renforcer la détection de la pollution, en élargissant les moyens et le champ d'action des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA). Objectif : orienter la recherche vers la pollution atmosphérique, par exemple en lançant un «plan recherche et innovation» en lien avec le milieu universitaire. Enfin, Leila Aïchi insiste sur la nécessité de pallier «l'absence totale de formation» chez les médecins, peu familiers selon elle des effets néfastes de la pollution de l'air. En plus des médecins, les élus recommandent que les différentes institutions de veille sanitaire, en milieu professionnel notamment, fassent l'objet d'une sensibilisation accrue.