Mi-juillet, l'Academy of Television Arts and Sciences a rendu publique la liste des nommés aux Emmy Awards, qui récompensent, depuis plus de soixante ans, les meilleures émissions et les meilleurs professionnels de la télévision américaine. En France, on s'intéresse à cet équivalent des oscars depuis que nous sommes entrés dans l'âge d'or des séries (et aussi l'Internet à haut débit). Pour faire court, au siècle dernier, Dallas et les Feux de l'amour faisaient des cartons d'audience sur TF1, mais on se foutait d'avoir dix ans de retard sur la diffusion américaine. Et personne ne se levait à 5 heures pour assister à la remise des Emmys. «The Times They Are a Changin'»…
Au XXIe siècle, les dîners entre amis sont l'occasion de débats sans fin où on dresse la liste des meilleures-séries-de-tous-les-temps et on se déchire sur la supériorité ou non de ces mêmes séries sur le cinéma. Même les discussions sur les prix de l'immobilier ont été reléguées entre la poire et le fromage. Pire, on écourte nos nuits en commentant en direct le palmarès des Emmys sur les réseaux sociaux. Justement, celui de 2015 sera divulgué le 20 septembre et il sera l'occasion de mettre fin à une des plus grandes injustices de ce palmarès : l'absence de récompense pour Jon Hamm, aka Don Draper, le rôle principal de Mad Men.
Cette immense série de Matthew Weiner se déroule principalement dans les années 60 à New York et raconte le quotidien d'une agence de pub. Série à l'humour subtil et noir, féministe, remarquablement interprétée, écrite, réalisée et habillée, Mad Men raconte la décennie où les Etats-Unis ont perdu leur innocence. Hamm a magistralement incarné durant sept saisons le mâle alpha de cette Amérique triomphante et sombre sans jamais recevoir un Emmy. Souvent nommée, l'épine dorsale de cette fresque chorale, soliste aux multiples visages, n'a jamais été récompensée. Au point de créer une fête des losers.
Dans l'ultime épisode de l'ultime saison, Don Draper traverse les Etats-Unis dans une quête que même lui ne connaît pas (une impossible rédemption ?). Perdu, halluciné, il perçoit en écho une citation de Sur la route de Jack Kerouac : «Whither goest thou, America, in thy shiny car in the night ?» («Vers quel séjour diriges-tu tes pas, Amérique, en ton automobile étincelante dans la nuit ?»). Comme Sur la route a imprégné la littérature américaine de son empreinte, Mad Men et Don Draper marqueront l'histoire de la télévision, montrant le chemin à de nouvelles séries.
Quelle route prendra l'Académie de la télévision ? Si elle ne prend pas la bonne, Hamm et les fans de la série sauront se consoler : après tout, The Wire, autre série socle, considérée comme la meilleure série de tous les temps, n'a jamais rien gagné aux Emmys. Le club des losers a quand même une sacrée gueule.