Comment en arrive-t-on à ce que les éleveurs normands bloquent Caen et interdisent l'accès au Mont-Saint-Michel ? La crise couvait depuis des mois. Mais il aura fallu la menace d'une nouvelle jacquerie pour que François Hollande demande samedi à la grande distribution de «meilleurs prix», pour rémunérer l'élevage français. Pas trop tôt, disent certains. Trop tard, regrettent de nombreux éleveurs, alors que 20 000 exploitations de viande bovine sont menacées de dépôt de bilan d'ici la fin 2015, selon les propres déclarations de Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture. L'épisode rappelle la crise qui avait déjà secoué l'agriculture française en 2008.
Aujourd’hui comme hier, la révolte gronde dans les campagnes depuis des mois. Syndicats, élus locaux, chambres d’agriculture tiraient inlassablement la sonnette d’alarme. Car, depuis l’automne, une spirale dépressive s’est mise en place dans les trois grandes filières que sont le lait, la viande bovine et porcine. En cause, une succession d’événements conjoncturels : l’embargo russe et l’Asie freinant sur les importations, l’arrêt des quotas laitiers, le prix en repli dans un marché en surplus. Mais à la racine, un problème structurel : des cours de viandes de porc et de bœuf constamment inférieurs aux coûts de production.
Au bout du compte, entre revenus en chute libre et surendettement, la situation des éleveurs, déjà tendue comme un arc, est devenue intenable. Tout annonçait la crise, mais on cherche désespérément son issue. Une partie de ping-pong s’est engagée entre les différents maillons de la chaîne, pour savoir où se cachent les marges qui pourraient sauver l’élevage. On attend le rapport du médiateur rendu à Le Foll, mercredi, et les mesures gouvernementales, jeudi, en réponse au désespoir des éleveurs. Il y aura sans doute un plan d’urgence : facilités de trésorerie, avance par rapport à la PAC, aides au désendettement… Mais comme à l’accoutumée, l’Etat aura attendu que la maison brûle pour compenser l’impitoyable loi du marché, qui fait des éleveurs des exploités plutôt que des exploitants agricoles.