La colère est montée d'un cran lundi chez les paysans normands qui ont bloqué toute la journée les accès au périphérique de Caen, entraînant une belle pagaille sur l'ensemble de l'agglomération et réclamant la venue du ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll. Dans la foulée, plusieurs accès à l'A84, reliant Rennes à la préfecture du Calvados, ont été la cible des éleveurs dans la Manche. Des barrages, avec déversement de fumier, de paille et de gravats sur la voie publique, se sont également spontanément formés aux abords du Mont-Saint-Michel, notamment à hauteur de Pontorson (Manche). La Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricole (FDSEA) n'a pas appelé officiellement à ces opérations coup-de-poing mais ses adhérents y participent. Loïc Guines, président de la FDSEA 35, réclame une complète réorganisation des filières porcines, laitières et de viande bovine — les plus touchées par la baisse des prix — et interpelle l'Etat.
interview
«Il faut que les coopératives s'unissent pour faire face à la puissance de la grande distribution»
Les agriculteurs bloquent le périphérique de Caen, le 20 juillet 2015 (Photo CHARLY TRIBALLEAU. AFP)
publié le 20 juillet 2015 à 18h28
Pourquoi s’en prendre aujourd’hui aux consommateurs en bloquant des axes de circulation ?
Qu’on ne s’y trompe pas, notre cible n’est pas le consommateur mais d’abord la grande distribution. Le blocage spontané du Mont-Saint-Michel en dit long sur l’étendue du malaise. Et on peut espérer qu’en faisant prendre conscience aux visiteurs, et donc aux consommateurs, de la réalité des problèmes, l’Etat se réveille et tape enfin du poing sur la table !
Que demandez-vous à l’Etat ?
Il faut déjà qu’on arrête de voter des dispositions, des circulaires qui entravent la production agricole, comme d’autres productions. On a l’impression que la France n’aime pas les gens qui entreprennent. Qu’on respecte des normes, OK, mais dans ce pays, on lave plus blanc que blanc, à commencer par la direction de la concurrence qui fait du zèle et en rajoute dès qu’il y a des velléités de restructuration des filières, alors que c’est une condition essentielle pour sortir de la crise. Par exemple, quand la coopérative Agrial veut reprendre les outils laitiers d’Elle et Vire, l’administration française lui demande de lâcher en contrepartie deux usines cidricoles qu’elle souhaitait également acquérir. Cela n’a pas de sens et il est grand temps que l’Etat prenne ses responsabilités. La restructuration de nos grandes filières agricoles est indispensable même si elle n’effacera pas les distorsions de concurrence, sociales, environnementales, avec les autres pays européens.
Quelles restructurations préconisez-vous ?
Dans la production porcine, les groupements de producteurs n’ont plus la même raison d’être qu’autrefois. Il faut en finir avec toutes ces chapelles qui n’ont pas les moyens d’investir dans des outils de transformation. Quand il y a dix ou quinze groupements qui vendent leurs cochons au marché au cadran face aux quatre ou cinq acheteurs industriels et aux quelques centrales d’achat de la grande distribution, il est facile pour ces derniers de faire jouer la concurrence et de tirer les prix vers le bas. Dans la viande bovine, on a aussi des modes d’organisation archaïques avec quelques industriels privés qui contrôlent le marché et n’ont aucun intérêt à voir les prix grimper, comme les abattoirs Bigard qui absorbent 40% à 45% de la production française. Même chose dans la production laitière, où il n’y a rien à attendre d’acteurs comme Lactalis qui investissent d’autant plus à l’étranger qu’ils paient moins cher les produits frais. Il faudrait là aussi que les coopératives agricoles se restructurent et s’unissent pour avoir au moins un leader suffisamment fort et faire face à la puissance de la grande distribution. Quand on voit que Leclerc passe des accords avec le géant de la distribution allemand Rewe, on ne fait pas le poids.
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