Menu
Libération
Reportage

«Si on disparaît, ce sera des "fermes de 1000 vaches" et des produits sans normes»

Au Mont-Saint-Michel ce mardi, les éleveurs ont bloqué l'accès pour faire entendre leur ras-le-bol.
Des éleveurs bloquent l'accès au Mont-Saint-Michel, lundi. (Photo CharlyTriballeau. AFP)
publié le 21 juillet 2015 à 17h37

Drôle de visite pour les milliers de touristes venus admirer le Mont-Saint-Michel. A cinq kilomètres de la merveille qui se dresse à l’horizon, une longue rangée d’autocars sont rangés sur le bas-côté, délestant leur cargaison de voyageurs contraints de poursuivre leur chemin à pied. En travers de la route, des dizaines de tracteurs et leurs remorques chargées de paille bloquent le passage depuis lundi soir, ne laissant passer que les véhicules des employés du Mont.

«Pour les touristes, à pied ou à vélo, ça passe, sinon pas question !» prévient un jeune agriculteur en bottes et bleu de travail. Bon gré, mal gré, mais dans une ambiance plutôt bon enfant, Japonais, Américains, Italiens, Allemands, défilent à la queue leu leu au milieu du barrage, les plus hardis prenant quelques photos des petits groupes d'agriculteurs qui devisent autour d'une glacière et d'un verre de rosé. «Les gens se montrent compréhensifs, commente l'un d'eux. Ils savent qu'on n'est pas des fainéants et que si on est là, c'est qu'on en a gros sur la patate.»

L'heure est grave en effet pour ces éleveurs qui évoquent les suicides de certains de leurs collègues, pris à la gorge par des emprunts devenus impossibles à rembourser. «Si on disparaît, ce sera des "fermes de 1 000 vaches" et des produits sans normes, sans rien, qui viendront de n'importe où», se désole Marc, 52 ans, visage buriné et chemise à carreaux. «Il ne faudra pas s'étonner si les gens tombent malade et si le monde rural se transforme en désert. Déjà, on voit de moins en moins de vaches dans les champs.» Producteur de jeunes bovins, cet éleveur estime perdre entre 200 et 300 euros pour chaque bête vendue, et ses cultures de céréales ne sont guère plus avantageuses. «Depuis deux ans, c'est la cata. Il faudrait être tous les jours sur Internet pour pouvoir vendre au bon moment.»

«Le malaise est profond»

Yannick Bodin, président de la Coordination rurale de la Manche, se réjouit lui de la mobilisation. «Rocamadour est bloqué, les grottes de Lascaux sont bloquées, on a donné l'élan», lance-t-il à la cantonade, à mesure que les nouvelles tombent.

Venu avec son épouse et ses deux fils de 9 et 12 ans, le représentant agricole se réjouit également d'un rassemblement qui dépasse les étiquettes. «Ici, il y a des gens de la FDSEA, des Jeunes agriculteurs, de la Coordination, mais on est d'abord tous des agriculteurs, martèle-t-il. Le fait qu'on se mélange montre bien que le malaise est profond.»

Pour ce jeune producteur, la solution réside essentiellement à Bruxelles, qui devrait mettre en place une régulation des volumes et instaurer les mêmes règles sociales et environnementales dans tous les pays de l'Union. «En France, en termes de qualité, on est les plus compétitifs, les plus techniques. Mais au niveau économique, on ne passe pas», se désespère-t-il. A écouter les manifestants, les touristes vont devoir encore être patients. «On ne se contentera pas de mesurettes», souffle Yannick Bodin à propos du «plan d'urgence» promis par François Hollande en ­réponse à la mobilisation des ­éleveurs.