Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, défend son plan d’urgence aux éleveurs français. Présenté mercredi, il prévoit des aides à hauteur de 600 millions d’euros (100 millions d’annulation de charges et 500 millions de reports). Mais ces mesures peinent à convaincre les producteurs pour le long terme.
Combien d’exploitations sont concernées par ce plan d’urgence ?
On estime qu’il y a 20 000 exploitations en difficulté, dont certaines en très grande difficulté. Les cellules d’urgence créées dans les préfectures, le 20 février, pour faire remonter les problèmes doivent nous faire un compte rendu fin août. C’est sur cette base que nous allons répartir les aides.
Cet engagement s’inscrit d’abord dans une logique de court terme...
Il y a longtemps qu’on a posé les bases pour des réformes en profondeur. Il y a deux stratégies parallèles : gérer le court terme et penser le moyen et le long termes. Par exemple, un système d’assurance pour toutes les filières sera mis en œuvre en septembre pour permettre des compensations de revenus en cas d’aléas climatiques majeurs. La grande question qui sera posée pour demain, c’est de savoir s’il ne faut pas financer plus largement ce système assurantiel. L’autre question, avec la mondialisation, est celle de la lutte contre la volatilité des cours. A ce titre, la France a été le premier pays à limiter, dans le cadre de la loi bancaire, les positions sur les produits agricoles et agroalimentaires.
José Bové propose d’interdire purement et simplement la vente à perte...
La revente à perte est interdite. Nous avons agi en limitant, par exemple, les promotions tous azimuts sur le porc frais qui faisaient passer les producteurs sous la ligne de flottaison.
Pourquoi refuser de pointer les responsabilités dans la stagnation des prix ?
Mon objectif, c’est de faire remonter les prix. Taper sur l’un ou l’autre réduirait ma capacité de mobiliser tout le monde vers notre objectif commun. J’essaie de garder toutes les bonnes volontés.
Qui traîne le plus des pieds ?
Ceux qui défendent leurs intérêts et à qui la situation convient et ceux qui ont du mal à valoriser certains produits.
Peut-on mettre en place une nouvelle gouvernance sans cette transparence ?
C’est possible, avec de nouveaux systèmes de contractualisation. Il y a des exemples qui marchent. Herta a travaillé avec un groupement de producteurs. Système U lance des contrats. Je suis d’accord avec ceux qui disent qu’il ne suffit pas de mettre de l’argent dans la filière, il faut une stratégie structurante.
Peut-on changer de modèle d’élevage ?
Je pense que oui. D’ailleurs, cela commence à bouger. Des responsables du secteur porcin reconnaissent qu’il faut faire évoluer le modèle tel qu’on le connaît en Bretagne.
Tout en gagnant en compétitivité ?
L’objectif, c’est de combiner performances économique, environnementale et sociale. Cela se traduit par des actions concrètes. Comme mettre en place une stratégie de production et d’autoconsommation de protéines végétales pour subvenir aux besoins de la production animale française. C’est de la compétitivité ! Les fermes type 1 000 vaches ou de 3 000 truies au Danemark importent toutes leurs protéines végétales et dépendent des fluctuations du prix du soja. Nous, nous voulons une stratégie d’autonomie fourragère.
C’est le modèle français de demain ?
Oui, en partie, mais il faut aussi se poser la question de l’adaptation de l’offre à la demande. La demande locale, celle des circuits courts, existe. Elle est forte et il faut la développer. Fin 2014, nous avons présenté un guide de l’achat local pour permettre aux PME de répondre aux appels d’offres des collectivités locales tout en respectant les règles européennes. Emmanuel Macron a annoncé qu’il allait engager les services achat de l’Etat à revoir les contrats passés. Nous avons aussi mis en place une segmentation du marché à travers la création du label «Viande de France».
Pourtant, en parlant d’export, de méthanisation et de compétitivité, votre plan vise surtout les grandes exploitations ?
Il s’adresse aux exploitations qui ont des difficultés. Je connais les craintes de la Confédération paysanne qui pense qu’on ne va garder que les grandes fermes. Mais je le dis, on va conserver les petites, les moyennes et les grandes exploitations. On tient tous les bouts de la chaîne. Le local, avec les circuits courts et le bio - on est en train de doubler les surfaces, même José Bové n’y croyait pas, ça sera une partie de ma fierté - le niveau national et les marchés internationaux.
Les consommateurs sont-ils coresponsables de la crise ?
C’est vrai qu’il y a un problème d’offre et de demande puisque la consommation de viande rouge est en légère baisse. La question, c’est de continuer à manger de la viande mais avec de la diversité dans l’alimentation et de la viande de qualité.
La droite vous accuse d’avoir tardé à réagir face à l’ampleur de la crise ?
Je rappelle à la droite qu’elle dormait pendant qu’on prenait les premières mesures. Cette crise a commencé au début de l’année. Le gouvernement Fillon voulait renforcer la grande distribution, soi-disant pour renforcer le pouvoir d’achat. Dans leur plan de soutien à l’agriculture en 2009, ils avaient mis l’exonération de la taxe carbone à hauteur de 200 millions, ça n’a jamais été fait. Ils avaient aussi mis des prêts bonifiés avec rééchelonnement à cinq ans pour les agriculteurs. Ces prêts arrivent à échéance aujourd’hui et ils les étranglent. Aujourd’hui, on paie ce plan de la droite. Quant au Front national, il va falloir qu’il choisisse entre son pseudo-soutien à l’élevage et le fait de ne pas manger de la viande. Quand monsieur Philippot rend visite à Brigitte Bardot, il devrait arrêter de donner des leçons. Le FN cherche à récupérer cette crise. Il y a des végétariens, des végétaliens, c’est bien, mais quand on fait de la politique, il faut faire des choix.