Menu
Libération
Récit

Crise agricole : vers une solution européenne ?

Stéphane Le Foll a annoncé jeudi qu'un conseil des ministres de l'Agriculture européens serait convoqué en septembre. Les éleveurs plaident pour une régulation accrue du marché agricole européen.
Stéphane Le Foll, au ministère de l'Agriculture, le 24 juillet 2015. (Photo Miguel Medina.AFP)
publié le 24 juillet 2015 à 15h58

Plan d'urgence doté de plus de 600 millions d'euros, service après-vente assuré par le président de la République, succession de réunions avec les représentants du monde agricole. Stéphane Le Foll multiplie depuis quelques jours les signaux d'apaisement en direction des éleveurs. Pas assez pourtant à entendre les agriculteurs, qui promettent de poursuivre la mobilisation faute de solutions durables apportées par l'exécutif. Mais il restait, dans ce contexte explosif, en période de vacances estivales, une dernière carte à jouer pour le ministre de l'Agriculture : déplacer le terrain de la contestation du Mont-Saint-Michel à Bruxelles.

Jeudi, le ministre s'est donc tourné vers l'Europe. Après avoir appelé ses homologues italien, allemand, grec, belge, irlandais et luxembourgeois, il a obtenu la convocation d'un conseil européen des ministres de l'Agriculture sur la crise de l'élevage. Un rendez-vous nécessaire, puisque «la plupart des pays connaissent une situation de tension sur le lait», a fait savoir son ministère. Certes, cette rencontre était déjà à l'agenda, mais elle a désormais, selon les vœux du ministre, un caractère «formel». Prévue pour septembre – sans que la date ne soit précisée, elle devrait répondre, en partie, aux craintes des agriculteurs, à commencer par ceux de la Confédération paysanne qui dénonçaient l'absence de mesures européennes dans le plan d'urgence du gouvernement présenté mercredi. «Le débat doit être porté au plus vite au niveau européen : une réunion d'urgence s'impose» expliquait le syndicat agricole dans un communiqué publié peu de temps avant l'annonce du ministère de l'Agriculture.

Prix minimum garanti

Quelles seront les questions à l'ordre du jour de cette réunion ? «Celle du relèvement du prix d'intervention, bien trop bas aujourd'hui», espère Laurent Pinatel, le porte-parole de la Confédération paysanne. Fixé par l'Union européenne, ce prix minimum garanti permet aux Etats membres, en cas de surproduction, de se porter acheteur de l'excédent de production qu'ils stockent et écoulent à un moindre prix à l'export, afin de soutenir les prix. Pour Yannick Fialip, président de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de la Haute-Loire, le retrait de marchandise apparaît aussi comme une priorité. «Outre qu'il permettrait de remonter les cours rapidement, il enverrait aussi un signal fort aux autres acteurs de la filière, et notamment aux spéculateurs qui espèrent encore que les prix baissent et repoussent leur achat». Le 13 juillet, le ministre de l'Agriculture s'était prononcé, lors d'un précédent conseil européen des ministres de l'Agriculture, en faveur d'un relèvement de ce prix d'intervention. Il avait également rappelé «la position constante de la France pour que des outils de régulation soient mis en place à l'échelle européenne afin d'être en capacité collective de prévenir les crises de marchés dans un environnement mondialisé». A cette occasion, Bruxelles avait par ailleurs accepté que ces mesures soient prolongées au-delà du 30 septembre 2015, date à laquelle le dispositif devait s'arrêter.

Un autre sujet pourrait s'inviter à la table des ministres de l'Agriculture : celui de la concurrence au sein de l'Union européenne. Pour la Confédération paysanne, une «harmonisation des normes sociales et fiscales entre pays européens doit être mise à l'ordre du jour et définitivement traitée pour bâtir une Europe solidaire et cohérente. Il faut cesser cette mise en concurrence insupportable entre éleveurs européens.» Ce qui pousse le syndicat à demander «l'arrêt immédiat des négociations des accords de libre-échange». De son côté, la Coordination rurale dénonce une «Politique agricole commune (PAC) prédatrice, des distorsions de concurrence et une réglementation nationale tatillonne qui finiront par tuer l'élevage français».

«Le dumping social de plusieurs pays européens»

Dans une lettre adressée à Stéphane Le Foll, le 23 juillet, Anne Dubedout, ingénieur agronome, s'interroge également sur l'absence des questions de distorsions de concurrence dans le plan d'urgence, «alors que ce sont elles qui rendent très difficiles le maintien des filières d'élevage en France». Dans sa ligne de mire, «le dumping social de plusieurs pays européens et les multiples subventions déguisées versées aux éleveurs allemands au titre de l'installation ou pour favoriser l'investissement dans des unités de méthanisation dans les fermes».

Hasard du calendrier ? Un entretien entre le ministre de l'Agriculture français et son homologue allemand, Christian Schmidt, était justement organisé jeudi. La veille, Stéphane Le Foll, dans un entretien à Libération, soulignait le poids de la concurrence des abattoirs allemands sur la situation des filières françaises, liée à «l'utilisation abusive de la directive détachement, qui permet aux entreprises d'embaucher des salariés étrangers tout en payant des cotisations sociales restreintes calculées sur la réglementation du pays d'origine, et l'absence de Smic jusqu'à récemment en Allemagne.» Pourtant, dans sa missive, Anne Dudebout pointe «l'absence du soutien» du gouvernement français à la plainte pour distorsion de concurrence déposée devant la Commission européenne par un collectif contre le dumping social en Europe créé à l'initiative des acteurs des filières viande française et belge. «Lors du dépôt de plainte, en 2011, l'ancien gouvernement, soucieux de préserver l'axe européen franco-allemand et de ne pas peser sur les négociations de la PAC en 2013, s'était tenu à l'écart, analyse-t-elle. Mais depuis, le gouvernement belge, lui, a porté plainte».