«C'est impressionnant !» Face au défilé ininterrompu de tracteurs venus des quatre coins du Grand Ouest se rassembler à Laval (Mayenne), après avoir bloqué l'autoroute de l'Ouest sur plusieurs kilomètres, un éleveur laisse échapper son incrédulité. De mémoire d'agriculteur, on n'avait pas vu pareille mobilisation - environ 500 engins et deux fois plus de manifestants - depuis longtemps. Sur un panneau de fortune accroché à l'avant d'un tracteur, quelques mots faisant écho aux aides annoncées la semaine dernière par Stéphane Le Foll et bombés à la hâte résument la préoccupation générale : «Des prix, pas des millions.»
«Aujourd'hui, aux côtés des éleveurs, il y a des entreprises de travaux agricoles, des salariés des coopératives, tout le monde a joué le jeu parce que tout le monde est inquiet», relève Jean-Yves, producteur de poulets venu afficher sa solidarité avec les producteurs de lait et de viande bovine, victimes de la chute des cours. «Là-haut, les politiciens ne se rendent pas compte du nombre de professions qu'on fait vivre, ils sont inconscients», lâche un producteur de lait «en colère». Dans les cabines des tracteurs, femmes et enfants ont accompagné les éleveurs qui ont convergé vers le géant laitier Lactalis, avec des remorques remplies de paille, de pneus et de fumier pour bloquer les accès du complexe laitier, dont les bâtiments de verre se dressent à la sortie de Laval.
Désespoir. Sur le grand terre-plein qui fait face à l'entreprise, surmonté de deux anneaux monumentaux, œuvre d'un artiste local, Joël, 53 ans, qui exploite une ferme de 80 vaches laitières dans la Manche avec son épouse et son fils, laisse éclater son désespoir. «Voilà huit mois qu'on n'a plus de salaire. Sauf pour notre fils qui est maintenant dans la merde et pour lequel on fait tout pour dégager un revenu de 1 200 euros par mois pour 70 heures de travail par semaine, c'est bien le minimum, non ?» A ses côtés, Arnaud, producteur laitier de 43 ans, gilet gris et yeux clairs, tente une analyse. «Pour l'instant, les soi-disant accords passés avec les industriels ne sont que des paroles, il n'y a aucun engagement et quatre centimes de mieux par litre de lait, ce n'est pas suffisant, estime-t-il. Pendant ce temps, tout ce qu'on achète (le matériel, les aliments, les produits vétérinaires) augmente. Si ça continue comme ça, je ne serai plus là avant longtemps. Il faudrait que l'Etat nous protège, comme en Allemagne, mais il n'y a rien en France pour soutenir le système agricole.»
Poids lourds. Parmi les premières cibles : «Les politiciens qui ne comprennent plus la base et ne savent plus ce que c'est, une vache ou un taureau.» Mais aussi Xavier Beulin, le président de la FNSEA (lire ci-contre), «un financier qui ne représente pas l'agriculture». Dans la foule, un grand jeune homme, cheveux en brosse et sweat à capuche, peste contre les importations et énumère ses découvertes au fil des opérations commando menées ces derniers jours contre des poids lourds. «Tout ce qui rentre des pays étrangers, c'est affolant ! s'exclame-t-il. On a trouvé du poulet brésilien, de la poudre de lait espagnole, du lait roumain, de la viande irlandaise !» Un comparse renchérit : «Pour faire le trajet Orléans-Rouen, ça coûte 15 euros la tonne de blé en camion, pour faire Shanghai-Rouen, ça coûte 11 euros.»
Un troisième larron exhibe son téléphone, pour montrer la photo d'une étiquette d'un rôti de bœuf prise en grande surface. Où l'on peut voir, sous la mention «origine France», en petits caractères : «Né en Irlande, élevé en Irlande, transformé en Grande-Bretagne». «Cherchez l'erreur !» commente l'agriculteur. Pendant ce temps, un camion immatriculé en Espagne, pris dans les barrages, est assailli par un groupe et vidé en quelques minutes de sa cargaison : des dizaines de croque-monsieur d'origine mal définie volent au-dessus des têtes. «Il faudrait harmoniser les prix et les charges au niveau européen, si on veut faire l'Europe, qu'on la fasse à fond», lance un éleveur désabusé, qui ne croit guère à la prochaine réunion des ministres de l'Agriculture de l'Union, fixée au 7 septembre.
Pendant le rassemblement, les représentants syndicaux du Grand Ouest ont rencontré divers responsables des transformateurs et de la grande distribution. Avec, à la clé, une satisfaction pour la production laitière : la promesse des grandes enseignes de jouer le jeu d’une revalorisation à 34 centimes d’euro le litre si les transformateurs respectent leurs derniers engagements.