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Libération
Récit

Lutte antidopage: le jeu vidéo s'y met aussi

Le dopage s'installe dans le «esport», où les gains de plus en plus importants amènent les participants à la tricherie. Pour la première fois, une ligue de jeu vidéo va organiser des contrôles.
Un joueur de «Callf of Duty : Advanced Warfare» pendant les championnats du monde de esport, le 2 mai, à Paris. (Photo Alain Jocard. AFP)
publié le 28 juillet 2015 à 7h04

Dopé ! Ce n'est pas du vélo, mais du jeu vidéo. Depuis peu, les gamers ont adopté les sales habitudes de certains sportifs. Pour s'assurer la victoire dans les compétitions de «esport» (pour electronic sport), ces tournois au cours desquels s'affrontent les joueurs et équipes professionnels, certains ingèrent des amphétamines avant d'empoigner la manette. Le PGM (pour «pro-gamer») Kory «Semphis» Friesen, ancien membre de l'équipe Cloud9, spécialiste du jeu de tir Counter-Strike, a ainsi expliqué, détendu, que sa formation avait pris de l'Adderall, un psychostimulant prescrit sur ordonnance aux Etats-Unis, lors de plusieurs tournois. Conçu pour traiter les troubles déficitaires de l'attention, ce médicament était utilisé par les joueurs pour rester concentrer sur la partie.

L'Electronic Sports League (ESL), l'une des principales ligues d'esport, a donc annoncé que des contrôles antidopage auront lieu lors de ses prochaines compétitions. «ESL s'engage à sauvegarder l'intégrité de nos compétitions et de l'esport dans son ensemble, a déclaré l'organisateur. Nous vous assurons que nous pouvons proposer un terrain de jeu équitable à tous les participants.» Avant son prochain tournoi, organisé en août à Cologne, l'ESL a entamé un partenariat avec l'agence antidopage allemande. Pour l'heure, les tests devraient se limiter à des examens de la peau, mais ils pourraient être renforcés. Une rencontre avec l'Agence mondiale antidopage, sise à Montréal, est d'ores et déjà programmée.

Professionnalisation et contrôle

Un déploiement de force dont les contours restent toutefois indécis, faute de reconnaissance officielle de l'esport. Dans son règlement, l'ESL se contente pour l'heure d'interdire «toute forme de tricherie» et se réserve le droit de punir les cheaters. «Nous manquons de moyen pour les contrôles, regrette Julien Brochet, directeur de l'ESWC (la Coupe du monde des jeux vidéo). Aujourd'hui, c'est un phénomène difficilement quantifiable. Surtout américain, puisque c'est là-bas que ce genre de produit est le plus facilement accessible, mais encore très méconnu.» La création de contrôles est perçue comme un «gage de crédibilité» par le manager de l'équipe française EnvyUS, Jordan Savelli. «Ça nous rassure, confie-t-il. Nous avions des doutes sur certaines équipes. C'est une très bonne chose sachant que l'esport se professionnalise.»

Les sommes engagées dans les tournois de jeux vidéo suffisent en effet  – et plutôt largement – à vivre de cette activité. Avec des récompenses en cas de victoire qui oscillent entre 25 000 et 100 000 dollars (22 500 et 90 000 euros) pour les plus grosses échéances, «l'appât du gain est de plus en plus fort, reconnaît Jordan Savelli. Certains se disent : pour 100 000 dollars, tant pis pour les règles». Une dérive que ne dissimule pas l'ESL : «La popularité de l'esport a explosé ces dernières années, mais a également, combinée à l'augmentation des gains des tournois, rendu la tentation d'enfreindre les règles encore plus grande.»

«Epuisement mental»

Dans l'esport, les tricheurs ont d'abord cherché, à l'inverse du cyclisme, à gruger en trafiquant les machines. «Ce n'est pas nouveau, ça va avec la compétition. Avant, certains essayaient d'installer des logiciels d'aide à la visée, confirme Julien Brochet. Ce qui est nouveau, c'est ce dopage physique. La question n'est pas de savoir si on peut qualifier le jeu vidéo de sport, s'il s'agit de dopage comme on l'entend d'ordinaire. Comme pour n'importe quel jeu, il y a des règles, et la prise de ces substances, puisqu'elle fausse la compétition, est contraire à ces règles.»

Quant à savoir si ce dopage est efficace, l'équipe Cloud9 s'est inclinée en finale de l'ESWC le 12 juillet à Montréal, contre une équipe ukrainienne. Jordan Savelli en est convaincu : «Il y a certainement un effet, qu'il soit placebo ou pas. A la fin d'une compétition, on est dans un état d'épuisement mental.» Si l'émergence d'un Armstrong du headshot («tir à la tête») est possible, les players lambda et leurs chères machines sont encore à l'abri des jets d'urine.