EDF prend le contrôle des réacteurs d’Areva. Le schéma était connu depuis deux mois, depuis la décision de l’Elysée le 3 juin qui les avait enjoints à se rapprocher pour aider Areva à sortir de ses difficultés financières. Au bout de deux mois de discussions, les deux groupes, détenus respectivement par l’Etat à hauteur de 84,5% et de 87%, ont conclu un protocole d’accord, signé jeudi, qui prévoit un contrôle majoritaire par l’électricien d’Areva NP (activités de construction et de services aux réacteurs). Présentée comme un plan de sauvetage de la filière nucléaire française, l’opération va ramener Areva au périmètre de l’ancienne Cogema (mines, enrichissement de l’uranium, retraitement, recyclage des déchets). Areva conservera 25% au maximum de l’entité Areva NP tandis qu’EDF envisage une participation de 51% à 75%, avec potentiellement la participation de partenaires minoritaires. A quel prix ? «Les parties se sont mises d’accord sur un prix indicatif» qui valorise Areva NP à 2,7 milliards d’euros et pourra encore «faire l’objet d’un ajustement», précise EDF. Au départ l’électricien ne valorisait l’entité qu’à 2 milliards d’euros, quand Areva en réclamait 4 milliards. La valorisation finalement décidée est «un prix attractif pour les partenaires industriels intéressés à rejoindre le tour de table», a souligné Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF, ajoutant qu’avaient été noués avec des partenaires «des contacts très préliminaires». EDF, comme Areva, publiait dans la matinée ses résultats semestriels.
Sur la base d’une cession de 75%, Areva devrait donc percevoir «un montant indicatif de 2 milliards d’euros», souligne l’ex-fleuron du nucléaire dans son propre communiqué. Une période de trois à quatre mois s’ouvre aujourd’hui pendant laquelle EDF, qui exploite les 58 réacteurs du parc français, pourra examiner les comptes d’Areva NP en vue de formuler une offre ferme, d’ici octobre ou novembre. L’objectif est de «réaliser cette opération courant 2016 après obtention des autorisations réglementaires», a précisé Areva. L’accord officialisé ce jeudi prévoit aussi de regrouper les activités «de conception et de gestion de projets des nouveaux réacteurs» des deux groupes dans une société dédiée, détenue à 80% par EDF et à 20% par Areva NP. Une fois recentré sur le cycle du combustible, Areva sera beaucoup plus dépendant d’EDF, de loin son premier client.
Le 4 mars, Areva annonçait une perte abyssale de 4,8 milliards d’euros rien que pour 2014, sur 8 milliards de chiffre d’affaires et une dette de 5,8 milliards. Au premier semestre, le groupe a amélioré ses résultats mais est resté dans le rouge, avec une perte nette de 206 millions d’euros, contre 694 millions un an plus tôt. Le spécialiste du nucléaire a chiffré ses besoins de financement d’ici à 2017 à environ 7 milliards. En plus de la prise de contrôle de la partie réacteurs par EDF, il prévoit d’obtenir 1,2 milliard à travers des financements propres (gestion optimisée de la trésorerie, levée de financements au niveau de ses actifs industriels), et 400 millions à travers des cessions d’actifs. Areva a ainsi déjà annoncé la vente de sa filiale américaine Canberra, spécialisée dans la mesure de radioactivité. Quant aux 3,4 milliards d’euros restants, Areva va réaliser une augmentation de capital «significative» dont le montant «sera proposé d’ici à la mi-novembre», a affirmé son directeur financier, Stéphane Lhopiteau. Celle-ci sera ouverte à tous les actionnaires du groupe, au premier rang duquel l’Etat. Début juin, l’Elysée avait assuré que l’Etat renflouerait le groupe «à la hauteur nécessaire». Mais le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, a renvoyé le sujet à la rentrée en demandant jeudi, dans un entretien au Monde, qu’Areva présente «en septembre un plan de marche correspondant au nouveau périmètre du groupe». Le gouvernement a également demandé à EDF dans le même timing «un plan d’investissement détaillé pour la modernisation des centrales actuelles».
Areva a accumulé les déboires, en particulier en Finlande, où l’EPR d’Olkiluoto n’est toujours pas en service douze ans après le début des travaux et fait l’objet d’une procédure d’arbitrage international. Le protocole signé entre EDF et Areva stipule également que «qu’EDF, Areva NP et leurs filiales seront totalement immunisés contre tout risque lié au projet Olkiluoto 3».
Début mars, Areva qui emploie 28 520 personnes en France sur près de 44 000 au total, a annoncé une saignée : 5 000 à 6 000 suppressions de poste dans le monde, dont 3 000 à 4 000 en France d'ici à fin 2017 dans le cadre d'un plan d'économies d'un milliard d'euros. Jeudi, la direction a avancé que les effectifs avaient été réduits de 1 000 salariés au premier semestre. Les négociations avec les syndicats sur «un contrat social de transition Areva 2015-2017» ont débuté au moins de mai. Mais lundi, CGT, FO et Unsa/SPAEN, majoritaires au sein d'Areva, ont fait valoir leur droit d'opposition à l'accord de méthode sur le futur plan de départs volontaires (PDV) signé par la CFDT et la CFE-CGC. Ils pointent notamment le fait que si tous les salariés sont notamment «soumis au gel de salaires ou à la baisse de l'intéressement», seuls certains d'entre eux sont éligibles au PDV. Le projet de la direction souhaite l'ouvrir dans six sites en France début octobre. Au lendemain de l'accord EDF/Areva, «on ne connaît toujours pas le nombre de salariés d'Areva NP qui vont passer chez EDF», expliquait par ailleurs jeudi Christophe Laisné, de l'Unsa-Spaen.
Quel avenir pour le nucléaire français ?
La cession d’Areva NP signe la fin du modèle intégré d’Areva, de l’extraction du minerai jusqu’au retraitement des déchets, en passant par la conception et la construction des réacteurs, un modèle voulu par son ancienne dirigeante Anne Lauvergeon. «Le nouvel Areva va se recentrer sur son cœur de métier et ne sera plus soumis aux aléas de la construction», a précisé le directeur général, Philippe Knoche. Le partenariat avec EDF sera renforcé «dans des domaines tels que la recherche et développement, la vente de nouveaux réacteurs à l’export, l’entreposage de combustibles usés et le démantèlement». Dans un communiqué, la CGT «qui soutient le modèle intégré, déplore la décision de l’Etat français qui détruit Areva sans donner une quelconque ligne directrice et une stratégie à moyen-long terme tant pour Areva que pour la filière nucléaire française».
La prise de contrôle de l’activité réacteurs d’Areva par EDF marque la fin d’une aventure de quinze ans. «Il faut certes sauver le soldat Areva, ne serait-ce que pour garantir la sûreté des installations parmi les plus dangereuses du monde, a jugé le député écologiste Denis Baupin. Pour autant, il serait extrêmement pénalisant pour la transition énergétique, et donc pour l’emploi en France, que l’essentiel des moyens d’EDF soit encore une fois investi dans une filière en déclin.» Quel est l’avenir du nucléaire français ? «Il n’y a plus de vision stratégique depuis les années 90, comme il y a eu une politique volontariste d’engagement dans le nucléaire dans les années 70, estime Thomas Porcher, professeur à la Paris School of business. Il faudrait s’engager plus dans les énergies renouvelables où il y a de grandes parts de marché.» L’objectif fixé par l’Europe est de 20% de renouvelable en 2020. Or la France n’en est qu’à 10%.