Menu
Libération
Éditorial

Où es-tu, manne Areva ?

Le siège d'Areva le 2 juin 2015 à La Défense (Photo BERTRAND GUAY. AFP)
publié le 30 juillet 2015 à 19h06

Tout ça pour ça ! Quinze ans de bagarre pour s'imposer à tout prix comme un des leaders mondiaux de l'atome et le groupe Areva revient, peu ou prou, à ce qu'était son périmètre en 2000 : une activité réacteurs qui portait alors le nom de Framatome et qui passe aujourd'hui sous la coupe d'EDF (Areva en gardera 15 à 25 % des parts mais n'en aura plus le contrôle stratégique) ; et un cycle du combustible, alors géré par la Cogema, qui devient son business essentiel. Aux termes de l'accord officialisé jeudi avec EDF sous la forte pression de l'Etat actionnaire, Areva, au bord de l'asphyxie, est donc démantelé, le cœur de son métier étant cédé à celui qu'il considérait jusqu'à peu comme son principal concurrent (lire aussi page 8).

Une reddition en rase campagne pour un groupe qui ambitionnait de devenir un des principaux acteurs du nucléaire au monde, un gâchis monumental qui s’explique autant par le contexte économique et international que par l’inconséquence des précédents chefs de la filière mais aussi et surtout de l’Etat.

Le rapprochement avec EDF marque d’abord l’échec retentissant d’Anne Lauvergeon qui, en 2000, alors dirigeante de la Cogema, avait œuvré pour faire de la fusion de son entreprise avec Framatome un véritable modèle intégré gérant l’intégralité du cycle nucléaire, de l’extraction du minerai jusqu’au retraitement des déchets en passant par la conception et la construction des réacteurs. Fondé en 2001, Areva est vite devenu indissociable de son emblématique créatrice et patronne, ex-sherpa de François Mitterrand, seule femme du CAC 40 et connue dans le monde entier sous le sobriquet d’«Atomic Anne». Une personnalisation dévastatrice qui a empêché pendant des années toute réflexion et toute prise de décision collective alors même que le groupe était détenu à 87 % par l’Etat. Personnalisation qui a été renforcée par la lutte à mort engagée dès 2009 par Lauvergeon avec celui qu’elle soupçonnait - à raison - de vouloir sa tête, son entreprise et le leadership de la filière en France, Henri Proglio, le très politique patron d’EDF. Ce fut bel et bien une lutte à mort puisque l’une comme l’autre ont fini par être débarqués de leurs groupes respectifs - l’une par Nicolas Sarkozy en 2011, l’autre par François Hollande en 2014 -, mais à quel prix !

La bagarre a été telle qu’elle est devenue politique, chacun des deux patrons ayant - sous Sarkozy - leurs alliés et leurs pourfendeurs à l’Elysée, à Matignon et au sein des ministères concernés. Résultat, deux camps qui se sont opposés pendant des années, rendant impossible toute stratégie à long terme et occultant toutes les erreurs commises dans la première décennie 2000 (rachat d’Uramin en 2007 à un coût exorbitant, chantier ruineux de l’EPR finlandais, échec commercial à Abou Dhabi, etc.).

Calamiteux alors que survenait en 2011 le drame de Fukushima qui, du jour au lendemain, réduisait à néant tous les espoirs de contrats à l’export, fragilisant la santé financière des entreprises concernées.

Dans cette catastrophe annoncée, l’Etat porte une responsabilité énorme. A aucun moment il n’a joué son rôle d’actionnaire ; il a laissé faire, par lâcheté, négligence ou incompétence. Il semble aujourd’hui prêt à relever le gant et le patron d’EDF, Jean-Bernard Lévy, a tout d’un patron sérieux. Une bonne nouvelle. Mais il va falloir tenir sur la longueur, car les défis qui s’annoncent sont énormes.