Nexter, le constructeur du char d'assaut français Leclerc, a signé une alliance avec KMW, son homologue allemand fabricant du char Leopard, afin de créer un nouveau poids lourd du marché mondial des véhicules militaires. L'accord, signé le 29 juillet à Paris, au ministère de la Défense, porte sur une association des entreprises, sans fusion. Il concrétise des projets de rapprochement vieux d'une décennie et une période de négociation d'un an, entamée après la signature d'un accord-cadre en 2014.
Le groupe ainsi créé, dont le nom provisoire est Newco (son nom de code était KANT, douce ironie pour l'auteur de Vers la paix perpétuelle), cumule un chiffre d'affaires d'environ 2 milliards d'euros et un effectif de plus de 6 000 personnes. Le ministère de la Défense français évoque par ailleurs un carnet de commandes de 9 milliards d'euros. En 2014, les chiffres d'affaires des deux armuriers étaient de 1,05 milliard pour Nexter et de 747 millions pour KMW. Le modèle retenu établit une parité à 50-50 entre l'Etat français, propriétaire de Nexter, et la famille Bode-Wegmann, qui détient KMW. L'Etat conservera une action spécifique pour s'assurer la mainmise sur les armes les plus stratégiques.
L’appétence française, la frilosité allemande
L'entité européenne devient le quatrième plus gros fabricant mondial d'armes terrestres, derrière le géant américain General Dynamics, dont la seule branche terrestre affiche un chiffre d'affaires de 6 milliards d'euros, le britannique BAE Systems (3,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires) et un autre Yankee, Oshkosh Defense. «Ce rapprochement va créer le champion européen de l'armement terrestre», s'est réjoui le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. La porte reste ouverte pour l'éventuelle arrivée d'autres partenaires dans cette alliance, comme Renault Trucks Defense.
Un holding, basé à Amsterdam, chapeautera les deux structures, chacune installée dans son pays d'origine, à Satory pour Nexter et à Munich pour KMW. Juridiquement, les deux composantes de Newco resteront indépendantes et conserveront leurs marques. Un président devrait prendre la tête de l'ensemble, secondé par les deux dirigeants actuels de Nexter et KMW, Philippe Burtin et Frank Haun. Une mutation «finie avant décembre», selon une source gouvernementale à l'AFP. D'ici là, plusieurs prérequis administratifs devront être remplis, dont la publication de la loi Macron, qui autorise la privatisation partielle de Nexter, les parts de l'Etat passant de 100 % à 50 %.
Les deux constructeurs auront à arbitrer des problèmes de concurrence interne, notamment entre le VBCI français et le Boxer allemand, deux blindés à roues. Forces commerciales mutualisées, recherche et développement, et économies d'échelle bénéficieront cependant à Newco. Ce rapprochement s'inscrit dans la lignée de mariages industriels européens, à l'instar d'Airbus dans l'aéronautique ou de MBDA pour la fabrication de missiles.
Toutefois, outre les craintes syndicales, notamment exprimées par la CGT à propos d'éventuelles restructurations (aucune suppression de poste n'étant prévue à ce jour), l'alliance Nexter-KMW est accueillie avec une certaine réserve côté allemand. Les réticences germaniques s'expliquent par la crainte d'une perte de souveraineté, exprimée notamment par le député CDU Roderich Kiesewetter : «Pour des secteurs clés comme les blindés, l'artillerie et le renseignement, il importe d'avoir une technologie de haut niveau nationale.»
L'autre peur concerne les politiques d'exportation des deux pays : quand la France manifeste régulièrement son appétence pour la vente d'armes, l'Allemagne est quant à elle beaucoup plus frileuse, notamment face à la perspective de contrats au Moyen-Orient. «Le régime d'exportation ne bougera pas, a déclaré à l'AFP le ministère de l'Economie allemand. Tout ce qui est développé et fabriqué dans des usines allemandes avec de la technologie allemande devra être soumis à autorisation.» De Berlin, bien entendu.