Pierre Larrouturou avait raison. Depuis des années, à rebours de la plupart des docteurs tant-mieux de la mondialisation heureuse, ce Cassandre sympathique, émule de Michel Rocard, pointait du doigt le développement chinois. Sa croissance à deux chiffres, disait-il, repose sur une politique de surinvestissement dangereuse et sur une bulle immobilière himalayesque. Cette bulle est en train d’éclater. Si la correction reste confinée au marché chinois, on peut espérer des dégâts temporaires. Mais le krach asiatique se greffe sur une économie mondiale qui dépend elle aussi de la facilité monétaire. Les marchés le savent : l’inquiétude se répand comme un feu de brousse.
Certes, il fallait bien juguler par la création monétaire la récession née de la crise spéculative de 2008. Mais cette médication n’a qu’un temps. A force d’accumuler les dettes, elles finissent par retomber en avalanche sur les gouvernements. Pour assurer une croissance solide - qui sera de toute manière inférieure à celle d’antan -, il ne suffit pas de noyer l’économie sous les liquidités. Il faut surtout que les consommateurs prennent le relais du crédit, faute de quoi celui-ci repose sur du sable. L’ennui, c’est que l’air du temps inégalitaire qui prévaut depuis trente ans bloque la redistribution des gains de productivité que procure la technologie. Depuis bientôt une génération, le pouvoir d’achat des peuples stagne pendant que celui des classes supérieures explose. Et comme le disait Henry Ford (qui n’était pas un homme de gauche…), si on paie mal ses ouvriers, ils n’achètent pas de voitures. Aussi munificents soient-ils, les milliardaires ne peuvent à eux seuls soutenir l’expansion mondiale. Le principal frein à la croissance, c’est l’inégalité. Tant que les dirigeants mondiaux ne l’auront pas compris, stagnation et chômage perdureront.