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Libération
Récit

Le jackpot du patron d'Alcatel relance la polémique sur les «parachutes dorés»

Michel Combes, qui quitte son poste après le rachat du groupe par Nokia, va toucher 13,7 millions d'euros alors qu'il s'était engagé à ne pas réclamer de «gros chèque». Et ce n'est pas le premier.
Le patron d'Alcatel-Lucent, Michel Combes, à Paris le 15 avril 2015. (Photo THOMAS SAMSON. AFP)
publié le 30 août 2015 à 13h14
(mis à jour le 30 août 2015 à 15h48)

«Lorsqu'il n'y a pas de résultats, il ne devrait pas y avoir de bonus, bien évidemment…» Réaffirmée le 31 mai par le président du Medef, Pierre Gattaz, dans l'émission Le Supplément de Canal +, la ligne officielle du patronat français en matière de parachute doré vient encore de subir une sacrée entorse. Dans son édition du 30 août, le JDD révèle que le directeur général d'Alcatel-Lucent, Michel Combes, qui quitte son poste suite au rachat de l'équipementier franco-américain par le finlandais Nokia, va toucher le pactole en actions du groupe : 13,7 millions d'euros au total entre stock-options (1 million d'euros), prime de non-concurrence (4,5 millions d'euros) et surtout un «package» de 2,385 millions d'actions à verser entre 2016 et 2018, représentant la coquette somme de 8,2 millions d'euros. De quoi améliorer l'ordinaire d'une retraite chapeau fixée à 50 000 euros par an «seulement» alors que le patron opérationnel d'Alcatel touchait un salaire annuel de 1,2 million d'euros. D'autant qu'à 53 ans, Michel Combes va évidemment continuer à travailler. Il a déjà trouvé un nouveau poste sans doute bien payé : le patron d'Altice, Patrick Drahi, (actionnaire de Libération) devrait lui confier le 1er septembre la présidence de l'opérateur télécoms Numéricable-SFR

«Je ne souhaitais pas d’indemnités»

Ces informations ont été confirmées sans complexes par le président d'Alcatel-Lucent en personne, Philippe Camus arguant dans les colonnes du JDD que «Michel Combes a réalisé un travail exceptionnel et assuré la pérennité de l'entreprise», et «que ces rémunérations sont convenables, équitables et appropriées au redressement qu'il a opéré». Ce parachute cousu d'or de près 14 millions d'euros est pourtant difficile à justifier. Car le même Michel Combes s'était lui-même publiquement engagé à renoncer à un «gros chèque». Le 23 avril, au lendemain de l'annonce du rachat en rase campagne d'Alcatel par Nokia, il déclarait carrément au micro de BFM-TV : «Les conditions de mon indemnité de départ [ne sont] pas réunies» et «de toute façon j'avais fait savoir au conseil d'administration que je ne souhaitais pas d'indemnités de départ». Et pour cause, pour toucher le gros lot, Michel Combes, qui avait pris ses fonctions en mai 2013, aurait dû rester trois ans à la tête d'Alcatel-Lucent, donc jusqu'en 2016.

Mais en plein cœur de l'été, lors d'une séance le 29 juillet, le conseil d'administration du groupe a décidé généreusement de lever toutes conditions d'attribution, notamment pour les 8,2 millions d'euros en actions que le patron partant doit toucher dans les deux ans à venir. Explication : «Des milliers de salariés bénéficient eux aussi de leurs stock-options sans conditions», ose Camus. Autre argument: le rachat d'Alcatel par Nokia a changé la donne, puisqu'il aboutit au départ prématuré de Combes. Légal mais pas très moral tout cela. Et c'est bien pratique quand même ces règles que l'on peut changer quand cela arrange un ami dans le besoin…

Dans un communiqué publié en milieu de journée, Alcatel-Lucent a volé au secours de son patron estimant que Michel Combes «a permis de multiplier par 6 la valeur de l'entreprise et l'a sauvée de la faillite». Et réfuté l'idée d'une «prime liée à son départ» en évoquant une rémunération en actions conditionnée à des critères de «performance» dont le versement sera conditionné à la réussite du mariage avec Nokia. Et de conclure: «Tout montant publié relève d'hypothèses non réalisées et non vérifiables sur le cours des actions attribuées d'ici 2018». Bref, circulez il n'y a rien à voir...

10 000 suppressions de postes

Les salariés d'Alcatel-Lucent qui craignent aujourd'hui de faire les frais du rachat par Nokia devraient apprécier. Car le «plan Shift» de Michel Combes, qui était censé redresser le groupe d'équipements télécoms a finalement abouti à sa vente en rase campagne. Non sans provoquer une nouvelle saignée, avec 10 000 suppressions de postes, dont 600 en France. Et les partants n'ont évidemment pas bénéficié de la même diligence. Les syndicats d'Alcatel-Lucent n'ont d'ailleurs pas tardé à réagir. Telle la CFE-CGC estimant que «Michel Combes devrait avoir l'élégance de renoncer à la majeure partie de ses indemnités». Ou la CGT se demandant si le partant rembourserait la somme «si jamais la fusion ne se fait pas» avec Nokia...

L'affaire illustre en tous cas une nouvelle fois la parole à géométrie variable des boss du CAC 40 quand il s'agit de gros sous et de parachutes dorés. On se souvient de la tempête qu'avait suscitée la retraite chapeau de Philippe Varin : recasé lui aussi (à la présidence d'Areva), l'ex-patron de PSA avait fait mine de renoncer aux 21 millions d'euros prévus pour sa petite retraite, avant de faire lui aussi modifier les règles en douce pour palper a minima 300 000 euros par an de retraite. A l'époque, Varin avait carrément reçu le soutien du ministère de l'Economie, autrement dit d'Emmanuel Macron, qui avait estimé «cette retraite conforme au code Afep-Medef et plus de deux fois inférieure au montant initialement prévu».

«Je lui demande d'y réfléchir»

Devant la polémique montante, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a fini par réagir dimanche en milieu de journée en demandant au directeur général de l'équipementier télécoms Alcatel-Lucent, Michel Combes, de «réfléchir» à ses conditions de départ: «Il faut toujours garder le sens de la mesure. Oui, il est nécessaire de récompenser ceux qui s'engagent et ceux qui, en partie, ont fait avancer les choses. Mais en même temps, cela ne peut pas se faire sans limite, sans principe», a estimé le ministre, en marge de l'université d'été du PS à La Rochelle. Le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, qui avait validé sans sciller le «golden parachute» de Varin, lui, est resté muet cette fois, sans doute soucieux de ne pas en rajouter à droite après sa sortie contre les 35 heures. Bref pas de quoi inquiéter Michel Combes. Interrogé par des journalistes au sujet de l'attitude du futur ex-boss d'Alcatel, Stéphane Le Foll a fini par concéder: «Je lui demande surtout d'y réfléchir». Mais sans demander explicitement à Michel Combes de renoncer à son magot. Apparemment c'est tout réfléchi pour l'heureux bénéficiaire du parachute à 13,7 millions d'euros qui observait un prudent silence radio dimanche.