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Agriculteurs : pourquoi ils tractent leur colère à Paris

Les paysans de l’Ouest, région leader en production de lait et de viande bovine, disent venir à Paris pour «la manif du siècle», celle qui doit «sauver l’élevage».
Le 2 septembre 2015, à Tourville-la-Rivière (Seine-Maritime). (Photo Eric Feferberg. AFP)
publié le 2 septembre 2015 à 19h46

Pour beaucoup de paysans qui gagnent Paris aujourd'hui, c'est «la manif de la dernière chance». Ou comment «faire bouger les politiques» avant que l'élevage, notamment dans l'Ouest, première région française productrice de lait et de viande, ne parte définitivement en capilotade.

Pour cela, tels des mantras, les trois grandes revendications du mouvement sont martelées : des prix plus rémunérateurs, une baisse des charges sociales qui pèsent sur les exploitations, et l'harmonisation des normes - sociales et environnementales - à l'échelle de l'Europe. «La production française n'est pas compétitive car, ici, on lave plus blanc que blanc, râle Mathieu Charpentier, producteur de porc et de viande bovine dans le Finistère. Aux normes européennes, on rajoute des lois qui nous asphyxient. Faire du porc à 1,25 euro le kilo, on peut, mais pas avec les charges qu'on a et les mises aux normes qu'on nous impose et qui ne sont pas les mêmes dans les autres pays d'Europe.»

«Faire bouger les choses». Elevages en faillite, exploitants qui jettent l'éponge, les agriculteurs bretons, qui ont donné le signal de départ en grimpant sur leurs tracteurs dès mardi pour rallier Paris, constatent chaque semaine les dégâts provoqués par la crise et la chute des cours. Et ils n'ont qu'une idée en tête : «sauver l'élevage», en espérant un minimum de perspectives d'avenir. «Je travaille comme salarié dans une exploitation familiale et j'ai un projet d'installation, mais je ne vois pas comment je vais pouvoir faire sans aucune garantie sur le prix du porc ou le prix du lait, s'inquiète Julien Kerhuel, 27 ans. Pourtant, il y a une forte demande mondiale, les Chinois ont investi des millions d'euros dans une usine de poudre de lait à Carhaix, mais les prix ne suivent pas.» Quitte à imposer des normes rigoureuses en termes de traçabilité et de qualité sanitaire des produits, il faudrait au moins que ça se sache estime ce jeune agriculteur. «Il faut des étiquetages clairs, nets et précis pour que les consommateurs citoyens qui veulent de l'emploi dans la région favorisent la production et la transformation locales, sinon on aura d'autres abattoirs comme Gad, qui a supprimé 900 emplois en Bretagne, qui fermeront.» Ce futur éleveur juge également «aberrant» le régime fiscal des exploitants qui sont imposés sur l'ensemble de leurs résultats, même si une grande partie est réinvestie dans le matériel et la modernisation des fermes. «Charges fiscales, charges sociales qui empêchent d'embaucher même quand il y a du travail dans une exploitation, il faut faire bouger les choses», martèle-t-il.

Stress permanent. Sébastien Hale qui, à 35 ans, exploite depuis huit ans avec trois associés un élevage de porcs et de vaches laitières dans la région brestoise, partage les mêmes attentes et fustige lui aussi le coût de la main-d'œuvre en France par rapport à celle des pays d'Europe de l'Est. Tout en s'inquiétant d'une fuite en avant qui lui semble parfois sans issue. «En huit ans, les comptes de l'élevage porcin n'ont jamais été positifs et ceux du lait ont toujours été très aléatoires, détaille-t-il. C'est du stress permanent. Sur notre exploitation, on est jeunes, on a beaucoup investi. On nous a incités à faire du volume pour pouvoir nous en sortir mais, certains matins, on se demande pourquoi on va au travail. Nos grands-parents et nos parents produisaient deux fois moins et vivaient correctement.»

Sébastien Hale s'alarme tout autant des lycées agricoles qui se vident de leurs effectifs et des petites exploitations qui disparaissent inexorablement pour être reprises par les plus grosses. «Aujourd'hui, c'est la manif du siècle, lâche-t-il. S'il n'y a rien au bout, l'élevage est perdu.»