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Libération

Et si les 35 heures ruinaient les salariés ?

Ce n’est pas tant les entreprises qui souffrent de la réduction du temps de travail que les employés qui ont peu ou pas vu leur salaire augmenter.
par Sylvain Lindon, Restaurateur
publié le 14 septembre 2015 à 18h46

Monsieur le Premier ministre, ma démarche se veut positive et constructive puisque j’ai toujours voté à gauche, et même pour vous, à la dernière primaire socialiste de 2012. Je suis ce qu’on appelle un petit «patron de gauche», qui pourrait voter un jour à droite mais qui, aujourd’hui, veut, avant tout, la réussite de son pays, et donc du gouvernement que vous dirigez. Les réactions négatives aux propos du ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, sur les 35 heures, montrent qu’on se trompe encore de débat. La vérité, c’est que la gauche et vous aussi, qui êtes le chef de notre gouvernement de gauche, avez peur de réformer les 35 heures, car elle pense que ce serait un nouveau cadeau fait au patronat. C’est faux ! Car ce ne sont pas les entreprises qui ont été ruinées par les 35 heures, mais les salariés français. Les entreprises, qui vous réclament la «flexibilité», les ont absorbées depuis bien longtemps. Au contraire, ce serait un cadeau pour les salariés qui, eux, ne les ont pas absorbées ! Et voici pourquoi. Ce n’est pas la réduction du temps de travail (RTT) qui est en cause, mais son application. Car en fait, on n’a pas toujours réduit de quatre heures la durée du travail hebdomadaire, mais permis aux salariés, dans beaucoup de cas, de cumuler ces heures pour en faire des «jours de RTT». Nombreux sont ceux qui sont ainsi passés de cinq semaines de congés payés à sept ou huit semaines. Vous vous rendez compte, presque trois semaines d’un coup, alors que les précédentes réformes n’avaient augmenté les congés payés que d’une seule semaine (Blum, Mitterrand entre autres). Une révolution ! Mais le problème, c’est que les entreprises, qui ont dû réduire le temps de travail et affronter la «crise», n’ont pas pu, dans le même temps, mener une politique d’augmentation des salaires, presque gelés dans la dernière décennie. C’est donc sur le budget de leur vie quotidienne que les Français ont dû rogner pour financer ce surplus de vacances. Par conséquent, leur pouvoir d’achat pour leur quotidien a sensiblement chuté. Ils consomment beaucoup moins dans l’économie normale, sont à la recherche de petits prix, de promotions, d’où une croissance très faible et donc pas de nouvelles créations d’emplois. Pire encore, leur moral en est tant atteint qu’ils n’aspirent qu’à une chose : repartir quelques jours pour fuir ce quotidien dans lequel ils ne peuvent plus s’offrir que l’indispensable. Or, ces congés fréquents les appauvrissent encore, créant ainsi un cercle vicieux. Emmanuel Macron a raison, le temps libre ne crée pas le bonheur s’il réduit le train de vie. Vous me direz sans doute qu’il y a des Français qui ne peuvent pas partir du tout en vacances, et qu’on les insulte. Vous aurez raison, mais ce sont les classes moyennes et aisées qui font l’économie d’un pays, et ce sont elles qui prennent ces congés nouveaux. Alors que faire ? Tout simplement donner la possibilité aux salariés qui le souhaitent (l’imposer aux entreprises ?) de se faire racheter des jours de RTT par leur employeur. Ils seront ainsi doublement gagnants, puisqu’ils gagneront plus et dépenseront moins, une journée de travail coûtant bien moins cher qu’une journée de congés, surtout en famille ! Le pouvoir d’achat des ménages augmentera donc naturellement et, j’ose le croire, la consommation et la croissance seront relancées, permettant alors, plus encore que la flexibilité, l’inversion de la courbe du chômage. Car on recrute quelqu’un quand l’activité le nécessite, pas parce qu’on pourra le licencier facilement ! Et ce retour à une croissance décente passe, bien sûr, par une réforme importante des 35 heures, qui sera d’autant plus acceptée qu’elle sera expliquée et profitable aux salariés et aux entreprises (grâce à la relance de la consommation), prouvant ainsi aux «frondeurs» et détracteurs les plus virulents qu’il s’agit d’une réforme de gauche et non pas de droite. Mais de droite ou de gauche, elle sera surtout positive pour tout le monde.