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Libération
Récit

Mobilisation contre le «dépeçage» d'Areva

Quelque 2500 salariés ont manifesté ce mardi à La Défense contre les 4000 suppressions de postes envisagées par le géant du nucléaire et en ont dénoncé l'impact sur la sécurité future des installations.
Des employés d'Areva manifestent dans le quartier d'affaires de La Défense, près de Paris, contre des suppressions de postes, devant le siège social du groupe, le 15 septembre 2015. (Photo Bertrand GUAY. AFP)
publié le 15 septembre 2015 à 20h06

Blanche, rouge, azur et orange : la mosaïque intersyndicale d'Areva, assemblée sur les marches de la Grande Arche de la Défense comme dans une tribune de stade, tranche avec les costumes austères et les gris policés du quartier d'affaires. De La Hague, Marcoule ou Tricastin, les salariés du groupe nucléaire ont déboulé mardi matin au siège de l'entreprise, pour s'opposer au 3 000 à 4 000 suppressions de postes prévues par un plan d'économie d'un milliard d'euros d'ici 2017. Avec un mot d'ordre : «Non au dépeçage.» Une allusion directe à la reprise prochaine par EDF de la branche réacteurs d'Areva voulue par l'Etat actionnaire. Mais l'inquiétude porte aussi évidemment sur les coupes qui s'annoncent dans les effectifs. En gilets jaune fluo, une garde d'honneur escorte le  cercueil de «nos emplois» au milieu des 2 500 personnes présentes.

A mi-chemin de la bande de supporteurs et de la procession funéraire, le cortège noie l'inquiétude de chacun dans son concert de slogans, pétards et sifflets. Pourtant l'angoisse est là. «Quand mon père a quitté la Cogema il y a dix-sept ans, les caisses étaient pleines, se souvient Christophe, employé d'Areva depuis vingt ans. Aujourd'hui, on ne sait pas où on va.» Aux yeux de Sylvie, descendue au pied de la tour Areva soutenir ses collègues, la messe est dite : «J'ai connu Areva au mieux de sa forme. C'est dommage, c'était une bonne société. Il y a eu des erreurs.»

La foule, écrasée par le gigantisme des perspectives de la Défense, reproche à la direction une gouvernance hasardeuse, marquée par la catastrophe Uramin et un «manque d'anticipation» des aléas de la construction des EPR. «Les salariés ne doivent pas être les victimes expiatoires de ces errances», affirme Cyrille Vincent, coordinateur CFE-CGC chez Areva, qui emploie 29 000 personnes en France aujourd'hui. Le défilé a poussé la métaphore funeste jusqu'à improviser un cimetière au pied du siège d'Areva. Devant le cordon de CRS qui protège l'entrée, des croix portant les mentions «salariés», «sous-traitants» ou «ingénieurs» ont été plantées entre les dalles du parvis. «Je connais peu d'entreprises en faillite avec 46 milliards d'euros de carnet de commandes et de l'activité pour six ans, ironise Bruno Blanchon, responsable de la branche atomique de la CGT. Seulement nous allons arriver à un mur de dettes en 2016, parce que les dirigeants ont raisonné avec des emprunts sur trois ans, pour des installations qui rapporteront de l'argent pendant soixante ans.»

La crainte d’un nucléaire «low-cost»

Afin de stopper l'hémorragie financière dont souffre l'ex-fleuron du nucléaire – la société a perdu 4,8 milliards d'euros en 2014 – les syndicats appellent de leurs vœux une recapitalisation de l'entreprise par l'Etat, estimée à 7 milliards d'euros, et une renégociation de la dette. «Que l'Etat assume son rôle de décideur !», lance Stéphanie Gooris, secrétaire de la section Unsa de La Hague. Outre l'arbitrage de vieilles querelles fratricides entre Areva et EDF, vestiges de la guerre entre «Atomic Anne» Lauvergeon et Henri Proglio, la représentante souhaite que le gouvernement soutienne davantage le nucléaire, garant de «l'indépendance énergétique française».

Les syndicats ne se privent pas de rappeler les enjeux de sûreté des installations liés à une baisse d'effectifs. «Il faut bien comprendre que l'homme est le maillon fiable dans le nucléaire, plaide Bruno Blanchon. Si quelque chose ne va pas, c'est lui qui peut intervenir. Avec 4 000 personnes en moins, ce rôle devient compliqué à tenir.» Déjà inquiétées par l'état d'un outil industriel «sérieusement attaqué», les organisations syndicales craignent que les compétences accumulées par le personnel d'Areva ne soient sacrifiées. «On va vers le low-cost, et c'est dangereux», affirme Patrick, qui œuvre au démantèlement d'usines nucléaires à Marcoule. «Certaines installations ont cinquante ans. Nous les connaissons par cœur. Les salariés d'Areva sont les seuls à pouvoir faire le travail proprement, or nos emplois sont menacés.»

Pour l'heure, les salariés ne savent pas sur quel pied danser avec une direction «dans le flou total», souffrant d'après eux d'une «absence de vision stratégique». «Les dirigeants et le gouvernement ont oublié que le nucléaire est une industrie à cycles longs, à l'échelle de dizaines d'années», déplore M. Blanchon. Et de dénoncer le double jeu d'une direction «prompte à mobiliser les syndicats pour défendre la filière nucléaire», mais prête, par ailleurs, «à détricoter les statuts sociaux des salariés d'Areva». La dernière phase de négociations entre les cinq syndicats d'Areva et la direction aura lieu les 21 et 22 septembre.