Après Suddenlink Communications, racheté 9,1 milliards de dollars (8 milliards d'euros) au printemps, l'insatiable Patrick Drahi (actionnaire de référence de Libération) confirme son énorme appétit pour le marché américain du câble, en pleine consolidation. Le propriétaire de Numericable-SFR, devenu la troisième fortune française, a annoncé jeudi l'acquisition par son groupe Altice, pour 17,7 milliards de dollars, de Cablevision, le quatrième câblo-opérateur américain. Une nouvelle étape cruciale dans sa conquête des Etats-Unis, le premier marché mondial du câble et des télécoms, pour lequel il ne cache pas ses très grandes ambitions.
Altice s'est fixée pour objectif de générer la moitié de ses revenus outre-Atlantique à terme, contre 15% prévus d'ici la fin de l'année. Ce qui sous-entend que le groupe n'en a pas fini avec ses rachats, d'autant plus que le numéro 1, Comcast, ne peut plus s'agrandir du fait de sa taille et que les deux autres mastodontes, Charter et Time Warner, sont en train de fusionner. Parmi les cibles possibles pour Altice régulièrement citées, figurent Verizon Communications FiOS, évalué à environ 34 milliards de dollars, société qui concentre les activités du câble et de cuivre de l'opérateur télécoms Verizon, ou encore les quelques rares câblo-opérateurs encore indépendants comme Cox.
Comme pour les précédentes acquisitions de cet expert en montages financiers, l'opération est financée par un recours massif à la dette, complété par un apport en cash. En plus des actifs de la société, évalués à 9,6 milliards de dollars et rachetés avec une surprime de 22% par rapport au cours de clôture de Cablevision mercredi soir à la Bourse de New York, le groupe français reprend également les 8,1 milliards de dollars de dette de Cablevision. Soit 17,7 milliards au total, financés pour 14,5 milliards par endettement et pour le reste par une augmentation de capital de 3,2 milliards de son holding Altice, côté à la Bourse d'Amsterdam. L'opération a été bien reçue par les marchés, le titre Altice s'appréciant de 7% à l'ouverture de la place financière néerlandaise jeudi.
Boulimie d’acquisitions
L'opération va faire encore grossir la déjà colossale dette d'Altice, qui signe là sa sixième acquisition en un peu moins d'un an après les rachats successifs de SFR, Virgin Mobile, Portugal Telecom, NextRadio TV (propriétaire de BFM TV et RMC) et de l'américain Suddenlink. Soit environ 33 milliards d'emplettes au bas mot et une boulimie d'acquisitions jamais vue dans un si court laps de temps. Au printemps dernier, Patrick Drahi avait même approché le géant Time Warner en vue d'un éventuel rachat. Mais le groupe Charter Communication, propriété du modèle de Patrick Drahi John Malone, pour lequel il a autrefois travaillé en Europe, l'avait finalement emporté, en mettant 55,3 milliards de dollars sur la table.
Fondé en 1973, Cablevision est un groupe familial, propriété du clan Dolan, qui affiche une forte présence sur le très lucratif marché new-yorkais du câble et dans les Etats voisins (New Jersey, Connecticut, Pennsylvanie, etc.). Il a réalisé un chiffre d'affaires de 6,46 milliards de dollars en 2014, pour un bénéfice net de 465 millions. Le groupe, dont le siège est basé dans l'Etat de New York, emploie 15 000 salariés. Si aucun rapprochement n'a encore été annoncé entre Cablevision et Suddenlink, Altice n'en estime pas moins que les synergies attendues de cette acquisition seront de l'ordre de 900 millions de dollars.
Cette opération prévue pour être bouclée début 2016 doit encore recevoir l'agrément des autorités de la concurrence, qui ne voient pas forcément d'un bon œil le câble américain se réduire progressivement à une poignée de très grosses sociétés. Bousculés par la concurrence de plus en plus menaçante des nouveaux acteurs du Net (Netflix, Hulu, Amazon ou Apple TV), qui commercialisent directement sur Internet leurs services à des prix cassés par rapport aux tarifs de plus en plus jugés prohibitifs des grands acteurs historiques (Comcast, Time Warner Cable, Cox, Charter, etc., chez lesquels la facture mensuelle peut atteindre plus de 100 dollars contre une dizaine pour Netflix), les câblo-opérateurs se sont lancés dans une course au gigantisme à tout va afin de tenter de conserver leur domination sur le marché des contenus.
Economies d’échelle
En faisant grossir leur parc d'abonnés, les grands câblo-opérateurs misent sur des économies d'échelle pour réduire leurs coûts et sont à mêmes d'amortir sur un public plus large leurs investissements dans les contenus, nerf de la guerre de la bataille que se livrent aujourd'hui les géants des médias américains. «La pression pour consolider ce secteur très concurrentiel reste totale», juge un analyste après un été qui a vu les valeurs boursières des grands groupes de télévision américains s'effondrer en Bourse début août malgré des résultats plus qu'honorables. En cause, la certitude des investisseurs que la «grande implosion des médias», comme l'ont baptisé les spécialistes, va rapidement affaiblir les acteurs traditionnels du secteur, incapables de s'adapter assez vite à la révolution des usages télévisuels provoqués par la généralisation de l'Internet mobile.
Selon diverses sources, Patrick Drahi ne compte pas rentrer dans une logique de guerre des prix mais mise sur une amélioration de la qualité des services à un moment où les consommateurs américains se désabonnent de plus en plus du câble. Les consommateurs auront besoin dans les prochaines années d'une connexion de qualité au très haut débit fixe (via le wi-fi) pour pouvoir profiter de ces nouveaux services. A terme, Altice, créé en 2001 et employant 40 000 personnes, pourrait proposer des offres triple play (Internet, mobile, télévision) ou quadruple play (fixe, mobile, Internet, télé) comme le fait depuis peu l'opérateur de télécoms AT&T, qui a racheté récemment pour 48,5 milliards de dollars le service de télévision par satellite Direct TV. S'il trouve encore des banquiers prêts à lui prêter de l'argent, beaucoup de possibilités s'offrent encore à Patrick Drahi pour continuer à grossir aux Etats-Unis.