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Il est 20 heures, le JT se meurt

Audiences en berne, vision de l’information à l’ancienne… En pleine mutation, le journal télévisé innove pour tenter de garder sa place.
Anne-Claire Coudray, successeure de Claire Chazal sur TF1. (Photo J. Cauvin)
publié le 20 septembre 2015 à 19h16

«Le JT est mort, même si son cadavre bouge encore.» L'avis de décès est signé William Irigoyen. L'ancien présentateur du journal télévisé d'Arte et auteur de Jeter le JT, est convaincu de l'encéphalogramme plat du journal du soir. Il n'est pas le seul. Symbole de l'entrée dans une nouvelle ère où tout peut arriver, même l'impensable : vendredi, Laurent Delahousse a, sur France 2, devancé de 88 000 téléspectateurs le premier JT post-Chazal d'Anne-Claire Coudray sur TF1. Avec une telle perte de repères (on a le droit de dramatiser un peu, non ?), c'est l'obsolescence de la «grand-messe», format vieux comme l'ORTF, qui est en question. Mais, malgré les apparences, tout n'est pas (encore) perdu. Le vétéran des grilles fait de la résistance et truste encore, à l'heure du dîner familial, 47,1 % des téléspectateurs en moyenne. Il n'empêche : le nombre de Français qui regardent le 20 heures ne fait que décliner depuis une vingtaine d'années. «A l'époque des débuts de Claire Chazal, un JT faisait 17 millions, rappelle Benoît d'Aiguillon, auteur d'Un demi-siècle de journal télévisé. Aujourd'hui, 7 ou 8 millions, c'est un très bon score.»

S'il a encore un présent, l'avenir du JT est incertain. «Le statut de navire amiral du 20 heures tient de sa nature fédératrice, poursuit Benoît d'Aiguillon. Les JT n'apprennent plus les informations. On se réunit pour partager la même information avec son voisin ou son collègue de bureau. Si ce statut de référence commune s'érode faute d'audience, il y a fort à parier que l'importance du 20 heures s'amenuisera.» Jean-Maxence Granier, directeur du cabinet d'études médias Think-Out, n'exclut pas cette hypothèse, mais la pondère largement : «Il y a une inertie très forte, un effet d'habitude et d'institution, voire de majesté. Le 20 heures, c'est encore l'endroit où les choses se disent officiellement.»

Du menu à la carte

«La télévision reste le premier média consulté par les 13 - 24 ans entre 20 heures et 20 h 15», rappelle François Jost, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris III. Ce qui n'empêche pas les journaux télévisés de souffrir de la dispersion de l'audience sur les chaînes de la TNT et de la concurrence du Web et des chaînes d'information en continu. La modification des usages, glissant du menu à la carte, ne favorise pas ce rendez-vous à heure fixe. «Le format est condamné à évoluer», estime ainsi Jean-Maxence Granier.

A long terme, le tableau est plus sombre encore. Le public des JT, comme celui des autres médias traditionnels, est vieillissant: 59 ans en moyenne pour le téléspectateur du JT de France 2, 53 ans pour TF1. La «grammaire» du JT est malmenée : la hiérarchie de l'information classique - du sérieux au léger - est bousculée par les nouvelles approches venues du Web (Slate, Konbini, BuzzFeed, etc.) ; la parole unique du présentateur, «passeur» chargé d'incarner l'information, détonne avec la logique de débat des réseaux sociaux, et le téléspectateur surinformé est plus difficile à intéresser.

Avec l'intervention d'experts en plateau et le développement de formats plus longs destinés à l'analyse, les chaînes ont déjà cherché à rafraîchir la formule du 20 heures. Surtout, elles ont adopté une seconde partie magazine, dont la fonction «serait de tendre un miroir à la société française», selon François Jost. «Il y a un mouvement de fond. Pour beaucoup de gens, la vérité passe par l'expérimentation individuelle, le vécu. Les chaînes ont parfaitement compris cette évolution. Passé le moment de l'information pure, les journaux sont centrés sur la famille, l'information est montrée à travers ce prisme, cette incarnation.» Une tendance que certains jugent néfaste et qui expliquerait la baisse d'intérêt du public pour le rendez-vous vespéral. William Irigoyen va plus loin et passe le contenu des JT au lance-flammes : «Les journaux ont perdu leur capacité à rendre le monde plus intelligible. Ils ne disent plus rien. Il faut remettre au cœur de la télévision les personnes qui produisent des idées. Actuellement, il n'y a absolument aucune valeur ajoutée dans l'information. Je voudrais un journal qui ébranle mes convictions, qui démonte mes arguments. Je veux que l'on m'explique les nuances du monde.»

Pédagogie

Pascal Golomer, directeur de l'information à France Télévisions, défend, lui, assez logiquement sa chapelle et le journal de France 2, dont la mue est engagée depuis quelques années. «Nos journaux ont beaucoup évolué. Des reportages de trois, quatre ou cinq minutes, ça n'existait pas il y a vingt ans.» Le patron de l'info télévisée publique insiste sur le travail de pédagogie et d'analyse d'un JT à vocation œcuménique, mettant en avant une séquence comme «l'œil du 20 heures», la multiplication d'infographies ou de supports visuels numériques (réalité augmentée, images en 3D…). Profession de foi : «Il faut de l'enquête, du décryptage, il faut innover. Si on ne fait pas ça, c'est sûr que le public ne restera pas devant la télévision. Il préférera aller voir ailleurs. L'évolution ne se fait pas en un jour, c'est continu. C'est à nous d'instaurer des modes de traitement différents.» Question de survie.