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récit

Flashés au crasse test

Alors que le Salon de l’auto bat son plein à Francfort, le «Dieselgate» éclabousse toute l’industrie : Volkswagen et son logiciel truqueur d’émissions polluantes est-il le seul constructeur à tricher ?
Au Mondial de l'auto, à Paris, en 2014. (Photo Anthony Micallef)
publié le 22 septembre 2015 à 20h06

«La bombe a explosé», constate François Cuenot avec satisfaction. Pour ce responsable de l'ONG européenne Transport & Environment, «il fallait un événement comme celui-là pour déclencher l'artillerie lourde». Et peut-être pour mettre fin à l'hypocrisie entourant les émissions réelles de CO2 et de polluants des voitures mises sur le marché.

La bombe a explosé vendredi. L'EPA, agence de protection de l'environnement américaine, a révélé que Volkswagen avait équipé ses modèles vendus aux Etats-Unis d'un logiciel capable de détecter automatiquement les tests de mesure antipollution des autorités. Il enclenchait alors un mécanisme interne de limitation des gaz polluants, permettant au véhicule d'afficher des taux flatteurs. Une fois le test fini, le mécanisme antipollution se désactivait. L'EPA a estimé qu'environ 482 000 véhicules étaient concernés. Volkswagen a admis les faits, avant d'avouer mardi que 11 millions des véhicules du groupe (Volkswagen, Audi, Skoda, Seat et Porsche) dans le monde en étaient équipés. Le constructeur s'expose à une amende record. «Utiliser un appareil pour échapper aux règles visant à garantir un air propre est illégal et constitue une menace pour la santé publique», a tonné Cynthia Giles, une des responsables de l'EPA, parlant d'actes «très graves». «Ils ont pris un risque délirant, affirme Johan Ransquin, chef du service transport et mobilité à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Cela peut leur coûter très cher en termes de marque, de parts de marché, d'image. C'est incompréhensible.» Le constructeur allemand est d'ailleurs entré rapidement dans une phase de contrition, multipliant les excuses auprès de ses clients et de ses concessionnaires (lire ci-contre). «C'est une forme d'escroquerie, on a orienté l'achat de véhicules avec de fausses informations. Ce logiciel existe-t-il aussi pour la consommation en carburant ? L'usure du véhicule ? La sécurité ? On ignore où s'arrête cette tricherie», assure une association de consommateurs.

De notoriété publique

La Corée du Sud, l'Allemagne, les Etats-Unis et l'Italie annoncent l'ouverture d'enquêtes nationales. «C'est un véritable tremblement de terre» pour le secteur tout entier, juge Flavien Neuvy, directeur de l'Observatoire Cetelem de l'automobile, interrogé par l'AFP. Ce scandale «jette la suspicion sur l'ensemble des constructeurs, […] les enquêtes qui vont avoir lieu sont très importantes pour voir si c'est un phénomène qui ne concerne qu'un constructeur ou pas».

La ministre de l'Environnement, Ségolène Royal, dit avoir «demandé aux constructeurs nationaux de s'assurer que de tels agissements n'ont pas eu cours en France». Ils lui ont au moins répondu par voie de presse. Un porte-parole de PSA-Peugeot-Citroën explique que le groupe automobile français «respecte les procédures d'homologation en vigueur dans tous les pays où il opère». Même refrain en face : «Renault est une entreprise légaliste. Nous respectons en tout point les réglementations et législations en vigueur sur nos marchés.» Certes. Il n'empêche.

Les écarts de consommation et d'émission de polluants entre les tests et la route sont de notoriété publique. Transport & Environment a publié une étude cette année qui recense des tests indépendants réalisés pour son compte. Concernant l'oxyde d'azote, «une Audi A8 testée sur route en Europe a produit 21,9 fois la limite légale. La BMW X3 diesel était 9,9 fois au-dessus de cette limite. L'Opel Zafira Tourer 9,5 fois, la Citroën C4 Picasso 5,1 fois. Tous ces véhicules ont passé les tests en laboratoire.» En matière de rejet de CO2, «chaque modèle Mercedes dépasse en moyenne de 50 % sur route les résultats des tests en laboratoire», poursuit l'étude. La série 5 de BMW et la Peugeot 308 également. Et ainsi de suite pour la Golf Mark VII, la nouvelle Mercedes Classe C ou la Renault Clio IV.

Une étude de 2012 commandée par la Commission européenne révélait que les progrès affichés en matière d'émissions de CO2 étaient en partie dus «à la souplesse» dont profitent les constructeurs lors des tests d'homologation. L'Ademe, de son côté, a aussi réalisé des tests en conditions réelles. Concernant les oxydes d'azote, les écarts avec les chiffres obtenus lors des homologations «peuvent aller d'un facteur 2 à un facteur 12 ou 13», détaille Johan Ransquin.

Les raisons de ces écarts sont connues. «Les cycles d'homologation ne sont pas représentatifs de la conduite réelle», explique Lorelei Limousin, spécialiste du transport pour l'ONG Réseau Action Climat. Pour obtenir cette homologation, une voiture roule sur 11 kilomètres sur un banc d'essai, à faible régime, avec des phases d'accélération, de décélération et des plages de vitesse constante. L'accélérateur est manié avec la délicatesse d'un objet rare. Des cycles censés correspondre à des usages urbains dont un cycle se rapprochant d'un usage extra-urbain. Les tests sont obsolètes (lire page 4), très répétitifs, ce qui explique qu'un logiciel puisse repérer ces phases de tests. «La voiture roule, mais sur GPS elle n'avance pas, le volant est bloqué… c'est facile à détecter», explique François Cuenot.

Petites manipulations

Deuxième explication de ces écarts : les constructeurs qui se font homologuer en Europe «profitent des failles de la législation», poursuit Lorelei Limousin. Transport and Environment a dressé la liste de ces petites manipulations destinées à réduire la consommation, donc les rejets observés, qui ne sont pas interdites par la loi : les pneus surgonflés, l'alternateur (qui fournit en électricité le moteur et les accessoires de la voiture) débranché, lubrifiants spéciaux utilisés pour améliorer le rendement. L'association assure que les contours des portières et les grilles d'aération sont recouverts de bandes adhésives pour améliorer la pénétration dans l'air. Les écarts s'expliquent aussi par les nouveaux usages : l'air conditionné augmente la consommation de carburant jusqu'à 30 %.

Croquis diffusé par Transport&Environment.

Troisième raison, la tricherie. Si elle n'est avérée que chez Volkswagen, Transport & Environment est persuadée que les autres constructeurs usent du même stratagème. «On n'a pas de preuves formelles. Mais nous avons observé plus ou moins les mêmes écarts, quel que soit le constructeur. Volkswagen n'est forcément un plus mauvais élève, donc pas de raison que les autres ne fassent pas la même chose.» L'ONG a commissionné des nouveaux tests auprès de laboratoires avec des véhicules récents (sans donner les marques…), l'un des tests est même déjà fini. L'Ademe entame aussi une série de contrôles. L'objectif est identique : repérer ce type de tricherie. Transport and Environment annonce ces premiers résultats pour la mi-octobre.

En attendant, au salon automobile de Francfort, vitrine du savoir-faire allemand, Volkswagen a fait disparaître tous ses modèles diesel.