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Libération

Un tricheur dans le moteur

Les voitures sont devenues des ordinateurs blindés de logiciels. Volkswagen y a intégré le sien, qui maquille les émissions polluantes.
Conséquence du «Dieselgate» : les Volkswagen et Audi ne seront plus vendues aux Etats-Unis. (Photo Anthony Micallef)
publié le 22 septembre 2015 à 20h26

Dix millions de lignes de code informatique, soit plus de la moitié de ce que contient un Boeing 787 : c'est ce qu'on trouve, aujourd'hui, dans le système informatique embarqué d'une voiture grand public, d'après un rapport publié aux Etats-Unis, en janvier 2014, par le Centre pour la recherche automobile. Pour un véhicule haut de gamme, on monte à 100 millions ; et la voiture autonome embarquera, selon la formule du directeur général de Valeo, le leader mondial de l'assistance à la conduite, interrogé par le Figaro en juin, «entre 200 et 300 millions de lignes de code, contre 12 millions pour le système d'exploitation Android». Conclusion : la voiture est devenue un ordinateur, qui peut contenir un grand nombre de logiciels. Y compris clandestins. Dans le cas de Volkswagen, un programme installé en cachette par le constructeur permettait de minimiser les émissions polluantes de ses voitures, a révélé l'Agence de protection de l'environnement (EPA) américaine. «Un algorithme sophistiqué détecte quand la voiture passe un test officiel et active alors les contrôles complets des émissions», écrit l'EPA. Résultat : en laboratoire, les véhicules obtiennent des performances bien meilleures que dans des conditions d'utilisation normales. Onze millions de véhicules diesel dans le monde - Volkswagen, Audi, Skoda, Seat et Porsche - sont équipés de ce logiciel de trucage, a reconnu mercredi le constructeur allemand.

Tests laxistes. Le fonctionnement exact du programme n'est pas encore connu, mais l'affaire montre que l'informatique embarquée dans les voitures reste très opaque, pour les utilisateurs comme pour les autorités de contrôle. «Il n'y a pas de procédure de tests des logiciels en dehors des contrôles internes de qualité», assure Jean-Baptiste Thomas, responsable de la communication chez PSA. Pour mesurer leur consommation, les véhicules sont soumis à une série des tests définis dans le «nouveau cycle européen de conduite» (NEDC), qui n'est d'ailleurs pas si nouveau puisqu'il a été instauré en 1973. Jugé trop laxiste, il sera remplacé en 2017 par un nouveau protocole, plus complet mais pas encore entièrement défini.

Avec des véhicules transformés en ordinateurs roulants, la nécessité d'une mise à jour des procédures de contrôle du fonctionnement du moteur et des émissions polluantes devient criante. «Toutes les voitures sont des ordinateurs, elles gèrent la cartographie du moteur pour optimiser les performances, précise Jean-Baptiste Thomas. On peut demander ce qu'on veut à l'ordinateur.» Même de tricher. La manipulation avérée de Volkswagen n'est pas le seul dommage collatéral de l'importance croissante des logiciels. Lesquels posent aussi des problèmes de dysfonctionnements et, à mesure que se développe la «voiture connectée», de sécurité informatique.

En juillet, Ford avait déjà dû rappeler, en Amérique du Nord, 433 000 véhicules : un bug dans le système de commande empêchait d'éteindre le moteur… Dans la foulée, c'est Toyota qui en faisait revenir 625 000 au garage, pour un problème électronique qui pouvait aller jusqu'à immobiliser l'automobile. Le cas le plus spectaculaire est sans doute celui de Fiat-Chrysler : le 21 juillet, le magazine Wired avait provoqué un choc en montrant comment deux experts en cybersécurité avaient pu prendre le contrôle d'une Jeep Cherokee à distance, grâce à une faille de sécurité dans le système de bord. Les deux hackeurs avaient pu déclencher les essuie-glaces, activer les freins et couper le moteur au beau milieu d'une autoroute… Un million et demi de véhicules avaient été rappelés illico par le constructeur.

Contournement. A l'occasion de la dernière DefCon, la principale conférence américaine dédiée au hacking, qui s'est tenue en août à Las Vegas, un collectif de chercheurs en sécurité informatique, baptisé «I Am the Cavalry», a exhorté l'industrie automobile à faire plus d'efforts en la matière.

De son côté, l’Electronic Frontier Foundation, l’association américaine de défense des libertés sur Internet, réclame pour les chercheurs en sécurité une exception claire au Digital Millenium Copyright Act (DMCA) de 1998, qui interdit le contournement des mesures de protection des logiciels et limite la «rétro-ingénierie», à savoir l’étude du fonctionnement d’un programme pour en comprendre la conception. Une telle exception aurait pu permettre, avance l’association, de détecter plus tôt la tricherie de Volkswagen. En France, cette exception à des fins de recherche et de sécurité existe, même si elle est très encadrée. De fait, l’affaire Volkswagen met en lumière l’opacité des «boîtes noires» que sont devenus les véhicules.