Après avoir déjà divisé la gauche, le cas Air France est-il en train de semer la zizanie au sein du gouvernement ? Dix jours après les violences qui ont révélé la dégradation du climat social au sein de la compagnie, le dossier est devenu politiquement à hauts risques pour l'exécutif et met à rude épreuve la cohésion gouvernementale. Et ce n'est pas la décision de la justice de renvoyer en correctionnelle cinq salariés d'Air France pour «faits de violence en réunion» (ils seront jugés le 2 décembre et risquent jusqu'à 45 000 euros d'amende et trois ans d'emprisonnement) qui va contribuer à calmer les choses.
Machine
Fidèle à sa ligne de fermeté déjà exprimée lors de sa visite au siège de la compagnie au lendemain des incidents, Manuel Valls a de nouveau apporté son soutien à la direction d'Air France mercredi à l'Assemblée. Dans un marché de plus en plus concurrentiel et face à l'irrésistible montée en puissance du modèle low-cost, Air France n'a pas «d'autre choix de se transformer», a-t-il expliqué en guise de préambule économique. Chacun doit donc «prendre ses responsabilités, à commencer par les pilotes pour que ne pèse pas sur l'ensemble des autres salariés le poids des choix qui devront être faits». Le PDG d'Air-France-KLM Alexandre de Juniac ne l'aurait pas mieux dit. Autrement dit, de l'ampleur de l'accord auquel ils parviendront avec la direction dépendra en grande partie le nombre de suppressions d'emplois et leurs modalités - plan de départs volontaires ou licenciements secs pour une partie des personnels navigants. Ce plan qui menace 2 900 emplois «peut être aujourd'hui évité», s'est risqué à dire le Premier ministre, alors même qu'il a déjà été lancé et que ses détails seront présentés le 22 octobre en comité central d'entreprise. La machine est lancée.
Cette ligne de soutien à la direction d'Air France au nom du réalisme économique sur laquelle campe également le ministre de l'Economie Emmanuel Macron - et qui s'applique également aux auteurs présumés de violences sur les dirigeants d'Air France et des vigiles qui doivent «répondre de leurs actes», a dit Manuel Valls - n'est pourtant plus la seule à en juger par les dernières sorties, et non des moindres, au sein de l'exécutif. Interpellé mardi sur le cas Air France lors de son déplacement aux chantiers navals STX de Saint-Nazaire, François Hollande a tenté de la nuancer en appelant à davantage de «dialogue social» après que deux représentants de la CGT aient refusé de lui serrer la main en dénonçant la «violence patronale» et le «chantage à l'emploi chez Air France». Le chef de l'Etat a déploré la «brutalité» qui s'est manifestée chez Air France mais également celle «d'un certain nombre de décisions qui peuvent être celles des patrons». Une manière de corriger le tir et de rééquilibrer les torts au moment où les critiques se multiplient au sein de la majorité reprochant au gouvernement d'avoir pris fait et cause pour la direction en abandonnant les salariés d'Air France à leur triste sort. En recevant un peu plus tôt à l'assemblée Erika Nguyen Van Vai, l'hôtesse au sol devenue le symbole du mutisme de ses dirigeants face à la souffrance de la base, les députés frondeurs du PS l'avaient fait savoir à leur manière.
Suspension
Autre signe de l'inflexion du discours de l'exécutif, deux ministres (Ségolène Royal et Myriam El Khomri) demandent à la direction de la compagnie de suspendre son plan social afin de redonner sa chance au dialogue. «Reconnaissons qu'il y a eu des erreurs de tous les côtés», a expliqué Ségolène Royal tandis que Myriam El Khomri demande à Air France de mettre «plusieurs propositions sur la table» afin que le plan de restructuration ne soit pas «la seule solution». Du côté de la direction d'Air France, on se borne à dire que les négociations ont repris avec les personnels navigants et que faute d'un accord sur la hausse de la productivité d'ici la fin de l'année, le plan social sera intégralement appliqué. «Air France est devenu un enjeu politique pour le gouvernement, observe, détaché, un pilote joint par Libération. C'est la preuve que ça bouge enfin.»