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Bolloré s'invite au capital d'Ubisoft

Le PDG de Vivendi a annoncé avoir acquis 6,6% du capital du leader français du jeu vidéo. En attendant plus.
Vincent Bolloré dans le rôle d' "Assassin's Creed" (Montage Libération. DR)
publié le 14 octobre 2015 à 19h27

A quoi joue Vincent Bolloré ? La reprise en mains de Canal + ne suffit manifestement pas à occuper à plein-temps l'homme d'affaires breton : le PDG de Vivendi, qui vient de racheter DailyMotion pour 217 millions d'euros, a annoncé que son groupe avait ramassé 6,6 % du capital d'Ubisoft, le numéro 1 français du jeu vidéo, et 6,2 % de la plate-forme de jeux vidéo sur mobile Gameloft.

Ubisoft est mondialement connu pour ses licences comme Assassin's Creed, Far Cry ou encore les Lapins crétins. Ces deux sociétés indépendantes appartiennent aux frères Guillemot. Yves Guillemot préside Ubisoft, et Michel Guillemot est PDG de Gameloft. Bien que bretons eux aussi, il semble que ces derniers n'aient pas été prévenus au préalable qu'ils avaient un invité surprise dans leur tour de table. Le communiqué de Vivendi précise simplement que le groupe a acquis «sur le marché 7,36 millions d'actions Ubisoft pour un montant de 140,3 millions d'euros et 5,24 millions d'actions Gameloft pour un montant de 19,7 millions d'euros».

Un raider redouté

Le groupe présidé par Vincent Bolloré se félicite de cet investissement dans «deux sociétés françaises au savoir-faire mondialement reconnu dans les jeux vidéo» qu'il motive par un simple «placement de ses liquidités». Mais en général, quand Bollo débourse plus de 150 millions d'euros pour entrer au capital d'une entreprise ce n'est pas pour être un actionnaire dormant. Par le passé, il s'est fait une réputation de raider redouté. Il a ainsi pris le contrôle de Vivendi et s'est fait nommer PDG en moins de deux ans, alors qu'il n'avait pris au départ qu'un ticket de 2,5 % en 2012.

Bref, les frères Guillemot qui détiennent moins de 10 % d’Ubisoft ont peut-être du souci à se faire. D'autant que le capital du groupe est très éclaté avec la présence de plusieurs fonds d’investissement anglo-saxons (notamment Blackrock avec plus de 5 %) qui pourraient être tentés de revendre leur participation au plus offrant. La société qu’ils ont fondée en 1986 et qui pèse aujourd’hui 2,4 milliards d’euros en Bourse pour un chiffre d’affaires de 1,4 milliard intéresse de toute évidence ce grand joueur devant l’éternel qu’est Vincent Bolloré. Et pour cause, UbiSoft se classe parmi les 3 plus grands éditeurs de jeux indépendants au monde avec des studios en France, au Canada et aux Etats-Unis… De son côté, Vivendi a été un acteur majeur du jeu vidéo avant de revendre son studio américain Activision Blizzard à ses fondateurs en 2013 pour la coquette somme de 10 milliards de dollars.

«Une offre non sollicitée»

Contacté par Libération, la direction d'Ubisoft ne faisait aucun commentaire mercredi soir sur cette intrusion de Vivendi au capital du groupe. Mais ce jeudi 13 octobre, UbiSoft et Gameloft ont publié de concert le même communiqué considérant la prise de participation de Vivendi comme «non sollicitée», pour ne pas dire hostile: «prenant acte de cette prise de participation non sollicitée», les frères Guillemot rappellent «la volonté du groupe de rester indépendant, stratégie qui lui a permis, depuis sa création il y a 30 ans, de devenir le troisième éditeur mondial de jeux vidéo».  C'est ce qui s'appelle claquer la porte au nez de l'intrus.

De fait, les dirigeants d'UbiSoft n'ont pas oublié la tentative de raid de l'américain Electronic Arts qui avait racheté 15 % du caputal de leur groupe en 2004 sans y être invité. Ils avaient réussi à l'époque à neutraliser l'assaillant qui avait fini par revendre ses parts en 2010. Le problème c'est que Vincent Bolloré, qui est lui aussi entré sans frapper, a maintenant un pied dans la porte en question. Et qu'il est un adversaire bien plus coriace. Les Guillemot ont tout intérêt à chercher des alliés pour contrer le corsaire breton qui s'est lancé à l'abordage de leur entreprise car le siège risque de durer.

«Un axe stratégique pour Vivendi»

Dans l'entourage du patron de Vivendi, on parle d'une «opération financière» en soulignant que le groupe dispose de «9 milliards d'euros de trésorerie»: «Prendre une part dans UbiSoft, c'est un bon placement dans un secteur très porteur de l'industrie des contenus qui est un axe stratégique pour Vivendi.» De fait, très prisée des investisseurs, l'action Ubisoft a flambé de 40 % depuis le 1er janvier. Mais Vincent Bolloré va-t-il s'arrêter à 6 % du capital ? «On ne peut pas préjuger de l'avenir», commente simplement un de ses proches. Manière de dire que le milliardaire breton se tient prêt à augmenter sa participation à la première occasion.

Bolloré, qui a informé les Guillemot de sa prise de participation juste avant la publication du communiqué de Vivendi, ne compte pas demander de siège au conseil d'administration d'Ubisoft. Pour le moment. Mais il faut s'attendre à ce qu'il livre une guerre d'usure aux frères Guillemot et qu'il tente de monter encore au capital de l'éditeur de jeux et de sa filiale. «Quand il entre dans la place, Vincent est comme un lion caché dans les hautes herbes, on le croit endormi mais il ne dort que d'un œil, nous racontait un fin connaisseur de l'animal au moment de sa prise de pouvoir à Canal + début juillet. Il se fait oublier et quand il passe à l'attaque, il est souvent trop tard pour se défendre.»