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Libération
Interview

«Il ne faut pas penser l’essence comme une alternative au diesel»

Lorelei Limousin, du Réseau action climat, approuve l'annonce de la hausse de la taxation du gazole, mais regrette qu'elle soit accompagnée d'une baisse de celle de l'essence, qu'elle juge «incompréhensible».
Les premiers résultats de contrôles sur les véhicules diesel montrent que la quasi-totalité des modèles testés émettent bien plus d’oxydes d’azote que ne l’autorise la loi, parfois jusqu’à 10 fois plus. (Photo Mal Langsdon. Reuters)
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publié le 15 octobre 2015 à 18h05

C’est une vieille demande qui finit par aboutir, ou presque. Le rééquilibrage progressif de la taxation du diesel et de l’essence avait été prôné en 2013 par le Comité pour la fiscalité écologique. Dans une étude d’impact qui accompagnait la recommandation de ce groupe d’experts mis en place par le gouvernement de l’époque, une hausse annuelle de la taxation du gazole de 1,5 centime d’euros, jusqu’à l’alignement en 2018, entraînait une réduction de plus de 3,5 millions de mètres cubes de la consommation de gazole en 2030. L’annonce de jeudi est plus timide. Avec une hausse annuelle d’un centime pendant cinq ans, et en dépit de la baisse de la taxation de l’essence, il restera un écart de fiscalité entre les deux carburants. Autre différence, l’étude d’impact publiée en 2013 se basait sur un baril deux fois plus cher qu’aujourd’hui. Le Réseau action climat faisait partie de ce groupe d’experts. Lorelei Limousin, chargée des transports au sein de l’ONG, revient sur l’enjeu de la mesure.

Etes-vous satisfaits, au Réseau action climat, de cette hausse de la taxation du diesel ?

Il faut la replacer dans son contexte, qui est celui d'une baisse du prix du baril du pétrole. Une hausse ou une baisse d'un centime aura assez peu d'effet. Mais ce rattrapage est une bonne chose en soi, il fallait s'attaquer à la niche fiscale du diesel. Le scandale Volkswagen nous rappelle qu'il n'y a pas de diesel propre, qu'il faut désacraliser ce carburant. C'est chose faite, y compris pour le public : les ventes de véhicules diesels reculent. Par contre, baisser les taxes sur l'essence est un choix incohérent avec la lutte contre les changements climatiques, le gouvernement envoie un signal assez incompréhensible. A quoi bon ? La hausse de la prime à la conversion [de 500 euros à 1 000 euros, ndlr], réservée aux ménages non imposables, est une bonne chose. Certaines familles n'ont pas la possibilité d'abandonner la voiture ou n'ont pas les moyens d'en acheter un autre.

Mais plutôt que de baisser la taxe sur l’essence, il aurait été plus judicieux de baisser la TVA sur les transports en commun, ou d’investir dans les mobilités alternatives pour pouvoir permettre à tous de pouvoir se passer de carburant. Aujourd’hui, il y a une prédominance du transport automobile dans la mobilité parce que les gens ne bénéficient pas d’incitations ou n’ont pas accès à d’autres formes de mobilité.

Les voitures à essence émettent beaucoup moins de polluants comme les oxydes d’azote (NOx). S’il y a un basculement vers l’essence, n’est-ce pas mieux ?

Il ne faut pas penser l'essence comme une alternative au diesel. Certes, ce carburant produit moins de NOx, mais les nouveaux moteurs à injection directe émettent énormément de particules fines, davantage que les voitures diesels. Et pour un kilomètre parcouru, une voiture à essence émet plus de CO2 qu'une voiture qui roule au diesel. Cette hausse d'un centime aura un impact sur la consommation de gazole, mais, à l'inverse, la baisse de la taxation de l'essence aura un effet inverse. Il faudra être vigilant sur les futures émissions de gaz à effet de serre.

Avez-vous d’autres regrets ?

Une question se pose concernant les transporteurs routiers. Actuellement, ils bénéficient d’un remboursement sur la taxe sur le diesel. C’est une niche fiscale de plus de 350 millions d’euros chaque année. Pour nous, cette aide est une très mauvaise façon d’encourager une filière dans la transition énergétique. Là, on ne sait pas encore si cette hausse leur sera remboursée. Pourtant, s’ils étaient taxés comme les automobilistes, les recettes supplémentaires pourraient notamment être réinvesties dans des aides à la modernisation du parc roulant des camions. Cela pourrait profiter au fret ferroviaire, en déclin faute de soutien public.

Cette hausse du diesel, est-ce une décision surprenante de la part du gouvernement ?

Non, c’est en gestation depuis quelques années. La Cour des comptes, dans un rapport de 2012, avait évalué la perte fiscale à plusieurs milliards d’euros. L’Assemblée nationale avait adopté, en 2013, une résolution pour la fiscalité écologique ambitieuse qui demandait à mettre fin à cette taxation du gazole. Manuel Valls a pris des positions pour le rattrapage fiscal du diesel. Il est maintenant accepté qu’on ne peut pas lutter contre la pollution de l’air sans mettre fin à l’avantage fiscal du gazole.