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Décryptage

Zoom sur 11 anticipations : retard vers le futur

«Retour vers le futur II»
publié le 19 octobre 2015 à 21h46

Ce qui est advenu

Quand la science-fiction pense l’avenir, elle ne part pas de rien. Elle s’inspire de recherches scientifiques en cours et imagine les applications possibles ainsi que les débouchés envisageables. Parfois, elle vise juste, ou pas loin. Quelques exemples qui prouvent bien que le futur, c’est maintenant.

Le monde connecté. Quand Vernor Vinge ou William Gibson anticipent le déploiement du cyberespace au début des années 80, Arpanet, l'ancêtre d'Internet, a déjà une bonne décennie. La réalité du réseau n'a pas seulement précédé la littérature, elle l'a dépassée en s'imposant dans nos usages les plus quotidiens et en s'intégrant aux objets les plus triviaux, de la montre qui enregistre en permanence nos «données de bien-être» aux voitures tricheuses de Volkswagen et consorts. Monde connecté, monde de données : on attend au moins 50 milliards d'objets reliés au réseau en 2020, du smartphone à la gamelle du chat. Corollaire, la surveillance. Dans une version qu'Orwell, dans sa perspective «verticaliste» de 1949 (très inspirée de la télévision), n'avait pas imaginée. Mais là où la science-fiction creuse souvent la veine dystopique (le réseau vu comme outil de puissance au service des dominants), notre présent est heureusement plus contrasté. La nature même du Net crée des échappatoires et renouvelle les mobilisations. Même en état d'hyperconnexion.

La réalité virtuelle. Ce monde est-il réel ? A l'image des héros de la trilogie Matrix des frère et sœur Wachowski, il n'est plus ridicule de se demander si notre cerveau nous trompe sur la vie, l'univers et le reste. Pourquoi ? Parce que des casques de «réalité virtuelle» permettant de s'immerger dans un monde numérique se sont tant améliorés qu'ils nous font aujourd'hui vivre des expériences réalistes. A l'inverse des premiers conçus des années 60 à 2000 (lents, lourds, chers et pixelisés), la génération actuelle des Oculus Rift et Vive (dont la commercialisation est imminente) ou HoloLens (encore au stade du prototype) colle beaucoup moins la nausée. Lorsque l'application est bien conçue, même un décor et une ambiance sonore en carton-pâte suffisent pour se croire ailleurs. Et la bonne nouvelle, c'est que pour relier les gamers entre eux dans un monde virtuel, il n'y a pas besoin de connecter un «pod» au système nerveux via une interface organique à s'enfoncer en bas du dos, comme dans eXistenZ, le film de David Cronenberg.

Les missions spatiales. Malheur : un astéroïde gros comme le Texas fonce droit sur la Terre et menace d'y exterminer toute forme de vie ! C'était le scénario d'Armageddon en 1998, mais également un risque réel qu'on ne peut pas se permettre d'ignorer. Voilà plusieurs années déjà que la Nasa imagine des stratégies de «défense planétaire» pour éliminer ou dévier de sa trajectoire un éventuel astéroïde géocroiseur (dont le chemin croise celui de la Terre), et le projet «Asteroid Redirect Mission», s'il est financé, pourrait les tester dès 2020. Dans Deep Impact, c'est carrément une comète que les astronautes américains essaient d'éloigner avant qu'elle leur tombe sur le coin du nez. Petits joueurs. Il est bien plus facile d'attaquer une comète à coups de missiles que de s'y poser en douceur, ce qu'a pourtant réussi l'Agence spatiale européenne (ESA) l'an dernier, avec la mission Rosetta et son atterrisseur Philae. Prends ça, la science-fiction.

Ce qui va advenir

Dans un monde capitaliste où l’innovation est devenue un dogme, voire une religion, les représentations venues de la SF ont toutes les chances de se concrétiser un jour ou l’autre. Celles qui ont la plus forte probabilité d’exister sont celles qui proposent d’importantes perspectives de rentabilité. Un peu de patience, le futur, c’est pour bientôt.

Les robots et l'intelligence artificielle. Beaucoup de textes, films et jeux vidéo ne relèveront plus, d'ici peu, de l'anticipation. En témoignent les avancées récentes dans le domaine des droïdes domestiques, laissant présager des modèles vraiment utiles et polyvalents dans les prochaines décennies. Les facultés des robots industriels, qui remplacent déjà l'homme dans de nombreuses usines pour des tâches épuisantes et répétitives, vont s'améliorer : ils seront plus puissants, plus précis et apprendront de leurs erreurs. Les robots militarisés dépeints par James Cameron dans Terminator équipent déjà plusieurs armées (sous la forme de drones ou de lance-grenades dotés de vision), et on peut craindre que ces systèmes puissent un jour prendre seuls la décision de tirer. Car les logiciels de ces machines deviennent toujours plus performants. Il est ainsi probable que les assistants virtuels que sont Siri (Apple) et Cortana (Microsoft) atteignent demain le niveau de ceux décrits dans le film Her de Spike Jonze en 2013. A ce moment-là, les robots rêveront-ils la nuit, comme l'imaginait Isaac Asimov en 1986 ?

La voiture autonome. D'abord, les dates. La voiture autonome, qui se conduit sans chauffeur, est prévue pour 2020. Mais la «vraie voiture» autonome, la robomobile, celle qui n'a vraiment plus besoin de vous pour décider quoi faire en n'importe quelle circonstance, en ville comme sur un sentier de montagne, elle est annoncée à partir de 2030. Pourquoi deux dates ? Parce que la voiture autonome s'imposera progressivement. Guillaume Devauchelle, «Monsieur innovation» chez l'équipementier Valeo, fait une analogie avec le smartphone : «Au début, la couverture réseau n'était pas assurée partout, puis elle s'est étendue, et les applications se sont additionnées au fur et à mesure.» La voiture sans chauffeur suivra le même chemin : certaines fonctions seulement seront assurées par la machine, à faible vitesse, sur des tronçons de route faciles à gérer, comme les autoroutes ou des voies à sens unique, sans croisements ni piétons. Et les systèmes se perfectionneront jusqu'à la totale délégation de conduite. La voiture ne deviendra alors qu'un moyen de locomotion, comme le train ou le bus.

L'allongement de la vie. Le 21 juillet, Calico, la start-up de Google, s'associait à l'entreprise AncestryDNA pour comparer plus d'un million d'échantillons génétiques avec autant d'arbres généalogiques dans l'espoir de dénicher le secret de la longévité. En parallèle, des recherches sont menées sur les cellules souches, les nanotechnologies et les tissus vivants construits par impression 3D. Et l'amélioration de nos performances physiques et mentales est également en cours : prototypes de cœur artificiel, d'exosquelettes et de prothèses contrôlées par la pensée… Tout porte donc à croire que l'avenir de l'homme sera «augmenté». C'est d'ailleurs ce que beaucoup espèrent : 45 % des personnes interrogées par le Crédoc l'an dernier étaient favorables à ce que les progrès de la médecine aident à repousser les limites de la mort. Mais un tel futur est-il souhaitable ? En 2013, le Comité consultatif national d'éthique alertait sur le risque des techniques de neuro-amélioration de créer une classe sociale «améliorée».

Ce qui n’est pas près d’advenir

Que tous ceux qui ne vivent que pour voir un futur enchanté à base de téléportation et de voitures volantes s’abstiennent de lire ce qui suit, ils risqueraient d’être bien déçus : le futur, c’est pas gagné.

La voiture volante pour tous. En 1974, dans l'Homme au pistolet d'or, Christopher Lee échappe à Roger Moore à bord d'une AMC Matador greffée d'une aile sur son toit. Un hybride pataud inspiré de l'Ave Mizar, prototype issu de l'accouplement d'un Cessna et d'une Ford Pinto et qui se crasha en Californie avec son inventeur à bord. Il en mourut, son projet aussi. Quarante ans après, faire voler une voiture est presque devenu banal. Mais pas sans aile. Les sociétés américaine Terrafugia et slovaque Aeromobile présentent des modèles volants qui se muent en automobiles grâce à leurs ailes facilement repliables. Et annoncent une commercialisation pour 2017. Mais les usages seront limités : il faut un aéroport, 300 000 dollars (pour le modèle de Terrafugia), une licence de pilote et, enfin, vivre dans un pays qui autorise ce genre d'hybrides dans son espace aérien. Quant à la voiture qui se soulève, replie ses roues et se déplace sans aucune portance, c'est plus compliqué (lire page 6).

La colonisation de Mars. Mercredi au cinéma, on verra Matt Damon cultiver des patates dans sa base extraterrestre, Seul sur Mars. Mais la grande vraisemblance scientifique de ce blockbuster de «hard science-fiction» ne doit pas nous laisser croire à la propagande serinée depuis 2012 par Mars One. Ce projet d'un ingénieur néerlandais, qui a déjà réuni 100 volontaires pour une expédition sans retour vers la planète rouge, veut faire croire qu'il est possible d'habiter Mars aujourd'hui. Qu'on peut faire subir à des êtres humains sept mois de voyage dans l'espace et une vie en gravité réduite, alors que nos seules expériences se résument à des séjours en station spatiale et des balades martiennes de petits rovers télécommandés. Si la Nasa compte toujours officiellement débarquer des hommes sur Mars dans les années 2030, quelques montagnes restent à gravir. Comment envoyer un vaisseau trop lourd pour décoller de la Terre en un seul morceau ? Atterrir sans mourir sur une planète presque sans atmosphère ? Fabriquer sur place de quoi boire et respirer ? Il y a du boulot.

La téléportation d'êtres humains. Dans Star Trek, on se téléporte sur commande. Je suis là. Puis, l'instant d'après, ailleurs. Sans être passé par un quelconque chemin entre les deux points. Un peu comme les entités quantiques qui passent d'un niveau d'énergie à un autre sans intermédiaire. Sauf que si les matheux peuvent s'amuser avec les équations de la physique, cette dernière a le dernier mot, et il est expérimental ou observationnel. Dans l'état actuel de la physique, la téléportation d'objets matériels comme un être humain n'est pas possible. Il faudra trouver autre chose pour éviter les embouteillages.

Le stockage de la personnalité. Dans le Cycle du centre galactique, de Gregory Benford, les hommes emportent avec eux des mémoires informatiques d'êtres humains morts depuis longtemps. Une idée creusée par de nombreux auteurs (les Permutants, de Greg Egan). Elle permet d'imaginer une sorte de «sauvegarde» d'une personnalité, pour la faire se poursuivre dans un corps fabriqué et donc survivre à une destruction totale ou presque (le cycle de la Culture, de Ian Banks). L'idée d'une prise d'empreinte de la personnalité par un dispositif figeant l'état instantané du cerveau entre pourtant en contradiction avec ce que les neurologues comprennent de son fonctionnement.

Traverser la galaxie en un éclair. Tous les romans du genre space opera reposent sur une transgression majeure de la physique, puisque l'établissement de civilisations galactiques, ou même limitées à un petit coin de la galaxie, réclame un déplacement plus rapide que la lumière. Dans Dune, Herbert «plisse» l'espace à l'aide de l'Epice. D'autres relient des planètes par des «portes» dont la technologie ressemble à de la magie. D'autres imaginent des vaisseaux dont la vélocité n'est jamais expliquée. Dommage, on aimerait bien.