C'est en 2013, dans un entretien avec Eric Schmidt, l'un des dirigeants de Google, que le fondateur de WikiLeaks en donne la définition la plus saisissante : un «système de distribution» de l'information voué à favoriser les «actions justes» - rien de moins qu'un projet de moralisation du monde. Plus que nombre de hackeurs de sa génération, Assange est politique d'entrée de jeu. Sa mère a la fibre militante, antinucléaire, pacifiste. Le groupe de hackeurs dont il fait partie, à la fin des années 80, s'est baptisé «The International Subversives».
Mais la technologie n'est pas qu'un outil, elle est une matrice idéologique. Dès 1995, l'Australien participe aux discussions des cypherpunks (de cipher, chiffrement, et cyberpunk), un mouvement d'inspiration libertarienne qui prône la généralisation de la cryptographie pour assurer l'anonymat et l'inviolabilité des échanges. WikiLeaks est l'ingénierie appliquée de leur leitmotiv : «Confidentialité pour les faibles, transparence pour les puissants.» Les fuites retentissantes de 2010 - qui ont valu à leur source, Chelsea Manning, trente-cinq ans de prison - ont fait de cette entreprise de dévoilement radical une cible, et un adversaire, de l'administration américaine. De show télévisé sur la chaîne gouvernementale russe RT en asile dans une ambassade d'Equateur cernée par Scotland Yard, Assange semble parfois s'être mué en porte-étendard d'un anti-impérialisme 2.0 pas toujours bien dégrossi. Mais l'ADN «cryptoanarchiste» reste au cœur de WikiLeaks : en témoigne la politique récente, pour le moins discutable, de mise à prix de documents confidentiels. Am.G.