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Bolloré accélère son opération blitzkrieg sur Ubisoft

Le milliardaire confirme que son groupe Vivendi, qui détient déjà plus de 10 % d'Ubisoft, ambitionne de monter encore au capital du numéro un français du jeu vidéo. Le raider breton pourrait-il bouter hors du groupe les créateurs d'Ubisoft, les frères Guillemot?
Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire de Vivendi, en avril 2015, lors d'une assemblée d'actionnaires du groupe. (Photo Charles Platiau. Reuters)
publié le 26 octobre 2015 à 20h08

Décidément, Vincent Bolloré déroule son offensive sur Ubisoft avec la rigueur froide et méthodique d'un général prussien. Troisième acte de l'opération «blitzkrieg» lancée par le milliardaire sur le numéro un français du jeu vidéo, le groupe Vivendi qu'il préside annonce ce lundi soir qu'il «envisage de poursuivre ses achats en fonction des conditions de marché». En clair, Vivendi, déjà devenu le premier actionnaire d'Ubisoft après avoir raflé plus de 10 % du capital en moins de quinze jours, ne s'interdit plus rien. Y compris une OPA hostile qui irait jusqu'à bouter les frères Guillemot hors du groupe qu'ils ont créé en 1986 et développé ensuite avec succès, jusqu'à en faire le troisième éditeur mondial de jeux vidéo.

Avec un sens de la litote assumé, le communiqué de Vivendi, sans doute rédigé par Vincent Bolloré en personne, précise que «ces achats n'ont pas été spécifiquement conçus comme une étape préparatoire à un projet de prise de contrôle d'Ubisoft et Gameloft». Mais, que «néanmoins, sur les six prochains mois, Vivendi ne peut pas écarter la possibilité d'envisager un tel projet». Et pour couronner le tout, l'agresseur précise qu'il «envisage de demander, le moment venu, d'être représenté au conseil d'administration des deux sociétés». Si le clan Guillemot avait besoin d'une nouvelle confirmation des intentions carnassières de Bolloré vis-à-vis d'Ubisoft, c'est chose faite. On connaissait de longue date sa réputation de raider sans merci. Et la brutalité avec laquelle il a mis au pas Canal + ces dernières semaines n'a pas redoré son blason de gentil garçon. Mais la vitesse avec laquelle il a mené son wargame sur l'éditeur d'Assassin's Creed et des Lapins Crétins, laisse pantois. Rappel des faits.

Offensive en trois actes

Acte I : le 13 octobre dernier, le raider breton s'invite sans crier gare au capital du cador français des jeux vidéo en rachetant «sur le marché 7,36 millions d'actions Ubisoft pour un montant de 140,3 millions d'euros et 5,24 millions d'actions Gameloft pour un montant de 19,7 millions d'euros». Son groupe Vivendi détient alors 6,6 % du capital d'Ubisoft et 6,2 % de sa société sœur, la plate-forme de jeux vidéo sur mobile Gameloft.

Acte II : une semaine plus tard, Bolloré annonce tranquillement que Vivendi est monté à 10,39% dans UbiSoft et 10,20% dans Gameloft. Et motive ce qui s'apparente désormais à une OPA hostile par son souhait de créer une «convergence opérationnelle entre les contenus et plateformes de Vivendi et les productions d'Ubisoft et Gameloft dans le domaine des jeux vidéo».

Acte III : nous y sommes, Vincent le Terible n’attend pas une semaine de plus pour dire franchement qu’il ne va faire qu’une bouchée d’Ubisoft et croquer tous ses jeux à la sauce Bollo…

On se demande maintenant quelle est la prochaine étape de l'offensive Bolloré et comment Yves Guillemot, le patron d'Ubisoft, et son frère Michel, PDG de Gameloft vont y résister. Dès le 13 octobre, UbiSoft et Gameloft avaient publié le même communiqué considérant la prise de participation de Vivendi comme hostile, nulle et non avenue: «prenant acte de cette prise de participation non sollicitée», les frères Guillemot avaient rappelé à cette occasion «la volonté d'Ubisoft de rester indépendant, stratégie qui lui a permis, depuis sa création il y a 30 ans, de devenir le troisième éditeur mondial de jeux vidéo». Une manière de claquer la porte au nez de l'intrus. Et le 15 octobre, Yves Guillemot avait envoyé un mail à tous les salariés de son groupe dans lequel il écrivait: «Nous nous battrons pour conserver notre indépendance […]. Nous ne laisserons pas cette situation - ni les futures actions de Vivendi, ou d'autres - nous distraire de nos objectifs. Notre meilleure défense est de rester concentrés sur ce que nous savons faire de mieux: créer les meilleures et les plus originales expériences de jeu.» Manière de sonner la mobilisation générale…

La loi du plus fort

Le problème c’est que Vincent Bolloré a un pied dans la porte et qu’il sera sans doute bien plus difficile à déloger que ne l’a été le géant américain du jeu vidéo Electronic Arts, auteur d’une OPA ratée sur Ubisoft dans les années 2000.

On attend désormais la prochaine déclaration de franchissement de seuil de Vivendi: si l'on en croit, le plan de bataille habituel de Bolloré, après 10 % du capital d'Ubisoft, ce sera 15 puis 20 % «en fonction de conditions de marché». Grâce au petit jeu des droits de vote double qu'ils se sont attribués de longue date, les Guillemot, qui ne détiennent que 9,4 % de leur groupe, contrôlent encore leur maison. Mais pour combien de temps ? Vu l'éclatement du capital, ils ne pourront pas faire grand-chose pour contrer l'intrus si ce dernier poursuit son offensive. A moins de trouver des alliés et agir de concert. Le problème, c'est que les autres actionnaires de poids d'Ubisoft sont Fidelity Investments (9,99%) et Blackrock (5,44%). Des fonds d'investissement américains qui n'obéissent qu'à une seule loi: la loi du plus fort, celle de l'argent.

Or en un mois, l’action Ubisoft a flambé de 40 % en bourse, en grande partie grâce à un raider nommé Vincent Bolloré.